~ Gemminy (fiction originale) ~

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fallenRaziel
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~ Gemminy (fiction originale) ~

Messagepar fallenRaziel » 02 oct. 2011 15:40

C'est un univers que j'ai créé de toutes pièces qui s'appelle Zyrconia. C'est un monde de type fantasy, mais pas avec les codes ordinaires, genre trolls, elfes, nains et orques. C'est en fait un monde qui ressemble un peu au nôtre mais dans un passé lointain et avec des règles différentes. Vous croiserez bien des dragons au début, mais c'est sûrement la seule créature typique fantasy que vous y trouverez.
Certains éléments, comme les cristaux ou les éléments (ou la lune), pourront vous paraître familier (je jouais à FFIV pendant que rédigeais), mais la façon dont je combine ces éléments est originale et surtout bien plus complexe et élaborée qu'un FF.
Dans Zyrconia, les noms des personnages et des lieux ont un rapport avec la gemmologie (pour ceux que ça intéresserai de savoir d'où viennent certains noms parfois nébuleux). Le titre lui-même est un jeu de mots entre "gemini" (le signe astrologique des Gémeaux, mes deux héros sont des jumeaux) et "gemme". Ce n'est dont pas une faute de frappe.

Je sais que ça peut paraître assez cliché de dire ça, mais j'ai eu l'idée de cette histoire après un rêve très court que j'ai fait, dans lequel j'étais un personnage aux cheveux longs blancs, muet, avec un frère/soeur jumeau/elle (je ne me suis pas rendue compte des sexes, je change souvent de sexe dans mes rêves) ; nous étions dans une forêt éclairée par la lune, tout était dans les tons blancs, noirs et bleus, et je me souviens d'une atmosphère à la fois tranquille mais pleine de menaces... C'est la seule image dont je me souviens, et en me réveillant, j'ai eu envie d'écrire.

Jusqu'à présent je n'avait écrit que deux fanfictions : une sur Legacy of Kain (qui a presque tourné à la fiction tout court) et une sur Silent Hill (univers qui m'inspire beaucoup) ; c'est donc le premier texte original que je produit.

Mais trêve de bavardage, je poste le premier chapitre, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, ça peut encore être modifié vu que je l'ai pas encore publié officiellement sur mon site.
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CHAPITRE 1 - Les Feux des Drakones

"Si l'on met le feu à ta maison, approche-toi pour t'y chauffer."

Dans le coin le plus reculé de Zyrconia, de la fumée sulfurique s'élevait en permanence des rochers, chauffés par les fortes températures qui circulaient sous terre. Ces émanations piquantes ne masquaient pourtant pas le ciel bleu que l'on pouvait apercevoir au-delà d'elles, indifférent à la fournaise souterraine. Quelques rares végétaux poussaient là, entre les anfractuosités, un peu rabougris et abattus par les conditions de vie.

Un geyser d'eau bouillonnante jaillit soudain, arrosant une large zone de gouttelettes brûlantes. Pour se risquer dans cet endroit inhospitalier, il fallait une bonne connaissance du terrain et des risques de ce genre. Un chemin rudimentaire, tracé surtout par les pas de ceux qui avaient osé s'aventurer jusque là, demeurait, dans les environs, la seule trace d'une vie intelligente. La faune se limitait ici à quelques lézards, rongeurs et surtout les redoutables drakones , reptiles ailés terrifiants, tous de griffes et de crocs. Cette saison était celle de la ponte, et les femelles étaient particulièrement agressives. Mais les nids se trouvaient un peu plus loin au nord et à l'est, et avec suffisamment de prudence, on pouvait grimper sur les versants jusqu'à une certaine distance.

Traversant la brume ardente, deux silhouettes se mouvaient avec lenteur, en choisissant les endroits où marcher avec circonspection. Deux jeunes hommes, chaussés de hautes bottes isolantes, se faufilaient entre les panaches de fumée, visiblement à la recherche de quelque chose. Lorsqu'ils eurent trouvés l'endroit qu'ils cherchaient, l'un des deux posa à terre un sac vide et entreprit de fouiller un petit tas de pierres tout à côté. Son compagnon se contenta de s'asseoir sur une pierre tiède afin de l'observer.

Leurs traits étaient quasiment semblables, et c'étaient surtout dans leurs attitudes qu'on discernait des différences : l'aîné, celui qui avait entrepris un travail de fouille, avait une expression concentrée, un regard vif et direct, des gestes précis et soigneusement répétés. L'autre, assis à l'écart, bien qu'observant son jumeau, avait les yeux voilés ; ses pupilles étaient invisibles, comme atteintes par la cataracte, mais il n'était cependant pas aveugle et suivait le moindre geste de son frère. Nerveux, il tordait parfois un bout de sa tunique du bout des doigts.

Mais leurs chevelures, d'un blanc immaculé, étaient identiques et des mèches s'y agitaient en permanence, sans action du vent. Leurs yeux étaient d'un rouge clair mais tout à fait unique, et leurs oreilles, légèrement pointues à leur extrémité, affleuraient à peine de l'épaisseur de leurs cheveux.

L'aîné, sentant visiblement la nervosité de son frère, stoppa un moment son labeur pour lui sourire.

« Ne t'en fais pas, Beryl, il n'y a pas de drakone par ici. On va même peut-être pouvoir grimper un peu plus haut. Il y a un gros gisement de pierres-flambeaux par là-bas. » Il désigna une hauteur proche.

Les pierres-flambeaux avaient la particularité de brûler comme du petit bois quand on les frottait l'une contre l'autre. Les hivers étaient assez rudes dans cette région, et il se révélait impératif de faire des réserves de tout le combustible possible avant la fin de l'automne, qui commençait à peine.

Celui des deux jumeaux qui se nommait Beryl voulut retourner son sourire à son frère, mais il ne réussit qu'à produire un petit rictus forcé. Il ne se sentait pas tranquille. Son aîné se passa la main sur le front, et jeta un oeil en l'air, vers le ciel dégagé, s'attendant à tout instant à voir passer une silhouette ailée, qui démentirait ses pronostics.

Le cadet tourna son attention vers le sud, vers le petit village en contrebas, à peine visible dans la brume matinale. Cette petite cité, coupée du reste du monde par les Pics Volcaniques, était leur foyer, bien qu'ils sachent depuis longue date qu'ils ne faisaient pas vraiment partie de ce peuple. Les deux jumeaux étaient différents des autres, mais leur physique atypique ne leur avait jamais attiré la haine. Les habitants de TigrEye, le village du Feu, ne leur avait jamais fait comprendre qu'ils devaient se mettre à part ou se cacher. Ils savaient que leur mère adoptive, Ferypenda Braisang, la prêtresse-mère, les avait recueilli ici, dans ces montagnes, une vingtaine d'années auparavant. Mais jamais elle ne leur en avait dit davantage sur leurs origines ; peut-être les ignorait-elle ?

TigrEye avait été construite dans une petite dépression au milieu des volcans. Un endroit bien dangereux, pourrait-on penser aux premiers abords, mais aussi très fertile. Les cultures y poussaient bien et l'eau, même si elle était rare, ne manquait pas à ceux qui savaient où la trouver. Ils avaient appris à se passer de ce dont ils ne disposaient pas. Leurs besoins étaient modestes : ils élevaient quelques animaux pour leur chair et leur lait, et consommaient leurs récoltes, toujours suffisantes pour que personne ne souffre de la faim.

Les habitations étaient majoritairement construites en pierres, certaines troglodytiques, creusées dans l'épaisseur des anciennes coulées de lave ; d'autres, plus modestes, étaient faites de bois, mais étant donné la rareté du matériau dans cette région sans forêt, elles demeuraient peu nombreuses. Le seul moyen de trouver du bois solide consistait à se rendre sur une petite île non loin d'ici, sur laquelle se trouvait une minuscule forêt clairsemée.

Le bâtiment sans conteste le plus impressionnant du village était le Temple du Feu du Sud, leur unique lieu de culte. Il dominait le centre du village, posé au milieu d'un parvis lui-même surélevé. Aucun des deux jumeaux - ni aucun simple villageois d'ailleurs - ne pouvait y entrer : l'accès était réservé aux prêtres et prêtresses qui y officiaient, et même leur statut de fils adoptifs de la prêtresse-mère ne leur donnait pas ce privilège. Tout le monde savait que le temple servait de cachette à quelque chose de très précieux, mais quelle était cette chose exactement, personne ne le savait. Sauf peut-être les anciens qui se contentaient de sourire malicieusement quand quelqu'un leur posait la question. Ferypenda leur avait appris que c'était grâce à cet objet mystérieux que le village vivait en prospérité, sans avoir à craindre les drakones . L'aîné des frères n'avait jamais été particulièrement croyant, mais vu les circonstances et les dangers qui entouraient TigrEye, il devait bien admettre que quelque force surnaturelle devait entrer en jeu.

Cela faisait maintenant plusieurs heures qu'ils avaient quitté le village pour leur récolte matinale, et le soleil se hissait de plus en plus haut ; pourtant, la Lune, visible au nord, ne s'estompait pas et restait suspendue au milieu du ciel, comme un gros globe brillant. Ferypenda répétait souvent que le jour où la Lune ne serait plus visible à chaque instant de la journée serait celui de la fin du monde tel qu'on le connaît. Mais l'aîné des jumeaux ne pensait pas trop à ce genre de chose : il préférait vivre l'instant présent sans trop s'interroger.

Cependant, la nervosité de son frère le gagnait lui aussi. Liés autant par l'esprit que par le sang, les jumeaux partageaient souvent leurs émotions sans le vouloir, et celles de Beryl étaient chaotiques à cet instant.

« Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu vas cesser de t'agiter ?, le sermonna gentiment son frère. Tu me déconcentres ! »

Mais son cadet se laissa tomber à terre à bas de son rocher, sans répondre. D'un doigt tremblant, il indiqua le sud, la direction du village… Et son aîné comprit alors : de longs panaches de fumée tout à fait inhabituels émanaient de celui-ci. Et là, au centre, on discernait des lueurs dansantes, comme d'un feu…

L'aîné lâcha son sac de pierres-flambeaux sous le coup du choc. Il se passait quelque chose d'anormal. Il savait que les prêtres du temple procédaient à des cérémonies chaque matin, mais jamais jusqu'à présent il n'y avait eu d'accident. Était-il possible qu'un rituel ait mal tourné ? Pensant à Ferypenda, qui dirigeait toujours les cérémonies, l'aîné saisit la main de son cadet, et l'entraîna en courant.

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Le village reposait dans une brume épaisse, trop compacte pour être naturelle. Dans les rues flottaient des effluves inconnues, l‘odeur d‘un matériau étrange en train de brûler. Les deux jumeaux, hors d'haleine, apercevaient ça et là dans la semi-pénombre des silhouettes en train de courir, s'évanouissant dans les ténèbres. Ils tentèrent de leur courir après en criant, mais ils ne parvinrent pas à les atteindre.

Les yeux légèrement larmoyants, ils discernèrent petit à petit ce qui ressemblait à des corps allongés. S'agenouillant près de l'un d'eux, l'aîné constata avec horreur que la mort l'avait frappé. Une mort violente. Une grande plaie sanglante s'ouvrait dans la poitrine de la malheureuse victime. Il se releva, le cœur plein de colère : qui avait bien pu commettre un tel crime ?

S'arrêtant devant d'autres cadavres, les jumeaux ne purent que se rendre à l'évidence : on avait massacré les habitants du village. Ils avaient été tout simplement passés au fil de l'épée pour la plupart, d'autres gisaient décapités… Beryl détourna les yeux et se mit à sangloter doucement, et son frère, choqué lui aussi mais décidé à ne pas se laisser aller à la peine, le prit par les épaules :

« Ecoute, c'est terrible… Je sais. Mais on ne peut pas rester prostrés ici tant que nous ne sommes pas sûrs qu'il reste quelqu'un à sauver. Des gens se sont enfuis. Ils en ont peut-être réchappés. Et puis, il faut trouver Fery. »

Il décida de ne pas révéler à son frère ses craintes, ses interrogations sur les auteurs du bain de sang qui s'étalait à leur pied. Il prit Beryl par la main et se dirigea vers le centre du village et le temple. Plus ils avançaient, plus les émanations gazeuses les prenaient à la gorge, les faisant tousser et pleurer. L'aîné déchira de sa tunique un lambeau de tissu qu'il plaqua sur sa bouche ; il en fit de même pour son frère.

Il leur fallait faire de gros efforts afin de ne pas regarder trop longtemps les corps qui jalonnaient la route. Parfois, remplis d'espoir, ils s'arrêtaient près d'une silhouette allongée, qui, à cause de leur vision troublée, leur semblait avoir bougé, mais devaient à chaque fois goûter l'amère déception de s'être trompés.

Ils parcoururent une bonne centaine de mètres avant d'apercevoir, adossé à une maison, un homme vivant mais suffocant, qui se tenait l'abdomen des deux mains. L'aîné courut vers lui, trop heureux de découvrir un survivant. C'était un vieil homme qu'il connaissait bien.

« Néphryth ! Que s'est-il passé ? Qui a perpétré ce carnage ?!

Tout en posant ces questions, il essayait tant bien que mal de stopper le sang du vieux Néphryth qui s'épanchait lentement, en appliquant de ses deux mains sur la plaie un tampon de tissu déchiré à la tunique de Beryl, debout à côté de lui, les mains devant la bouche. Le vieil homme n'avait déjà presque plus de souffle, mais il parvint à articuler, s'accrochant des deux mains aux vêtements de l'aîné :

« Le temple… ils nous ont… trouvé. Ils vont… la prendre… Krysos, vous devez… Fuir… fuir tout de suite… »

Néphryth agonisait. L'aîné, Krysos, savait qu'il n'en avait plus pour longtemps, et que ses efforts pour le maintenir en vie étaient vain, mais il devait lui poser une dernière question :

« Néphryth, je t'en prie, reste avec moi ! Dis-moi où est Ferypenda ! Est-elle… vivante ? » Il eut du mal à articuler le dernier mot, comme si la mort de sa mère adoptive, la grande prêtresse du Feu, était inenvisageable…

Les mains du vieux Néphryth se firent molles et retombèrent bientôt à son côté. Krysos se mordit la lèvre de dépit, conscient de n'avoir pas pu sauver cet homme, cet homme qu'il connaissait depuis son enfance, avec qui il avait tant discuté, tant marché, tant appris… Dans un dernier sursaut de respect, il croisa les mains de Néphryth sur sa poitrine avant de se relever et de se tourner vers son frère.

« Je sais que tu as peur ; moi aussi. Mais nous devons aller jusqu'au temple, nous devons comprendre ce qui se passe. Je ne partirais pas d'ici avant de savoir ce qu'est devenue Fery… »

Surmontant sa terreur, Beryl mit sa main dans la sienne, lui signifiant ainsi qu'il le suivrait où qu'il aille. Ils remirent leurs masques de fortune sur leurs visages et reprirent leur route, plus péniblement.

Plus ils avançaient vers le centre du village, plus les cadavres s'amoncelaient : il y avait là autant de femmes que d'hommes, et même… des enfants. Certains portaient encore des armes rudimentaires entre leurs doigts rigides, mais d'autres semblaient s'être faits fauchés sans opposer la moindre résistance. Et ils ne pouvaient rien faire pour eux… L'idée de devoir laisser ces corps ici, dans leur tombe à ciel ouvert, répugnait les jumeaux. Mais des vivants avaient peut-être besoin d'eux.

Ils entendirent bientôt des sons métalliques retentirent dans les rues proches devant eux : des bruits d'armes qui s'entrechoquaient. Krysos réalisa alors qu'il n'avait pas son épée. Il en ramassa une au hasard près de lui - de facture étrangère -, s'attendant à chaque instant à tomber sur un assaillant assoiffé de sang. Il ne savait pas contre combien d'ennemis il pourrait défendre son frère, mais il était bien décidé à faire face autant que possible ; s'il devait mourir ici avec les autres, ce ne serait pas sans combattre. Avec prudence, il tourna au coin d'une rue, laissant son regard plonger au centre de la place principale de TigrEye.

Le spectacle le cloua sur place : des hommes portant de lourdes armures dorées massacraient ce qui restait de la population. Des prêtres surtout, mais aussi des villageois, tentaient tant bien que mal de se défendre en utilisant comme arme tout ce qui se trouvait à leur portée. Mais les habitants de TigrEye n'étaient pas des guerriers. Jamais ils n'avaient eu à repousser une telle sauvagerie.

A la vue des corps jetés en tas avec indifférence, Krysos sentit sa vue se brouiller. La bonne vieille rage, toujours au rendez-vous quand il sentait l'appel de la bataille, l'envahit. Il serra la main sur la poignée de son épée et s'apprêta à voler au secours d'une pauvre femme, qui portait la robe cérémonielle de la prêtrise, poursuivie par un soldat. Au moment où il se jetait sur l'assaillant, il entendit dans sa tête le cri lancé par Beryl, qui le suppliait de ne pas se battre, de ne pas l'abandonner. Il ralentit son geste une fraction de seconde, mais le cri de la femme fut le plus fort sur le moment. Il abattit sa lame sur l'ennemi, tranchant dans l'os la partie haute de son corps que l'armure ne protégeait pas entièrement. L'homme s'écroula sans un hurlement, toujours aussi anonyme qu'un instant plus tôt.

Krysos retourna le corps avec son pied. Son armure portait un insigne qu'il ne reconnut pas : un soleil symbolique aux multiples rayons. La jeune prêtresse, qui n'avait pas dû distinguer son sauveur dans l'épaisseur du brouillard qui régnait dans cette zone, s'était enfuie.

L'aîné retourna auprès de son frère et le mena un peu plus loin, avec encore plus de prudence car les bruits de combat redoublaient. Les silhouettes des meurtriers et des victimes se mêlaient confusément dans la pénombre mortelle. Encore une fois, malgré les supplications de Beryl, Krysos se jeta dans la bataille et tua quelques autres soldats. Ses leçons d'escrime basiques, qu'il avait considéré au départ comme un simple passe-temps, avaient porté leurs fruits. Cependant, il arrivait en général trop tard : les soldats qu'il abattait - hélas ! en si petit nombre - avaient déjà fait leur lot de victimes. Il ne put sauver personne, se contentant dans sa tristesse mêlée de fureur, de rendre aux bourreaux la monnaie de leur pièce. Enfin, découragé, abattu, sa rage l'abandonnant petit à petit, il s'accroupit au milieu des monceaux de morts et laissa ses larmes couler.

Qui étaient-ils ? Pourquoi avoir fait cela ? De quoi étaient coupables ces gens pour mériter pareil châtiment ?

Beryl le rejoignit et posa sa main tremblante sur son épaule. Krysos ne sut plus quoi faire sur le moment : devaient-ils continuer et risquer à chaque mètre de se faire tuer ? Y avait-il une chance que Ferypenda soit vivante ? L'idée de leur mère adoptive aux prises avec ces monstres les torturait… Combien de temps s'était écoulé depuis qu'ils avaient pénétré dans le village attaqué ? Dix minutes ? Trente ? Une heure ? Ils ne savaient plus, et leurs gorges irritées les faisaient souffrir.

Le parvis du centre du village semblait désert à première vue. Comme dans les rues adjacentes, des cadavres par dizaine jonchaient les pavés, éclaboussés de sang. Des lueurs dansantes se reflétaient sur les murs des maisons. Un silence pesant régnait sur ce spectacle de ruine. Mais Krysos, caché avec son frère derrière un pan de mur, remarqua sans peine les soldats qui faisaient les cents pas devant le temple. Le temple, seigneur…

Des langues de feu virulentes commençaient à en sortir, par les portes fracassées et jetées bas ; les flammes tambourinaient sur les fenêtres comme des mains désespérées. Au milieu de cet enfer, une silhouette émergea du bâtiment sacré, d'un pas lent, comme si la proximité du danger ne l'effrayait pas. Elle s'arrêta sur le parvis, et un instant, Krysos aperçu dans sa main un éclat rouge, qui pulsa quelques secondes avant de disparaître. L'inconnu portait une légère armure dorée, avec les mêmes insignes que les autres soldats. Un souffle de vent chaud venu du temple souleva une lourde natte de cheveux blonds, qui sortait de son casque comme un cimier. Son visage était caché mais Krysos comprit que c'était une femme ; il discerna alors mieux les formes féminines de son armure…

La haine l'envahit encore. L'attitude de cette guerrière inconnue était la dernière insulte qu'il pouvait endurer. Elle était responsable, il le savait : elle avait, d'une manière ou d'une autre, profané le temple, et volé quelque chose, comme Néphryth l'avait prédit. Mais quoi ?

Le feu qui faisait rage dans le temple était le feu sacré de TigrEye ; les flammes se tendaient vers l'extérieur, rampaient comme des serpents à la recherche de quelque chose à mordre. Déjà les pierres du parvis roussissaient sous leur assaut et bientôt elles se propageraient à tout le village. Ce feu dévorerait tout, le bois et la chair comme le métal et la pierre.

Krysos sentit sa fureur le porter en avant, lui dictant de trancher en deux cette femme monstrueuse. Mais la main de Beryl l'arrêta cette fois ; il reprit alors un peu ses esprits et considéra la situation : des soldats patrouillaient tout autour du temple, et sans compter la guerrière sur le parvis, il serait suicidaire de se mettre à découvert maintenant. Il ravala alors sa colère, serrant la main de son frère afin de se contenir.

La femme en armure dorée fit un geste à l'attention des soldats et ceux-ci se mirent en rang. Elle descendit alors les marches du parvis, d'une démarche pleine d'assurance, comme si ce village lui appartenait. C'est alors qu'elle parla, d'un ton méprisant :

« Ces chiens n'auraient pas dû nous résister. S'ils s'étaient laissés faire bien gentiment, ils seraient sans doute encore vivants. Qu'importe, nous avons ce que nous cherchions. En route ! »

La cohorte s'ébranla alors. Beryl et Krysos durent se contenter de les regarder passer, impuissants, toujours dans l'ignorance de l‘objet qui avait mené à ce génocide. Une fois seuls, ils se mirent à tousser frénétiquement : la fumée se faisait encore plus dense et on ne voyait presque plus à un pas devant soi. Malgré tout, Krysos devait jouer sa dernière chance. Il se dirigera difficilement vers le temple en flammes, et mettant ses mains en porte-voix, il cria avec le peu de souffle qui lui restait :

« Fery ! Fery ! Où es-tu ? »

Aussitôt, comme en réponse, un énorme craquement retentit et le toit s'affaissa sur lui-même. De gigantesques langues de feu s'en échappèrent, enfin libres, et le vent les poussa en direction des maisons proches. Les habitations de bois s'embrasèrent immédiatement ; celles en pierre résistèrent plus facilement, mais le feu magique aurait raison d'elles à la longue. Dans le brasier, des formes fantasmagoriques semblaient prendre forme, telles des têtes de drakones grimaçantes, arrachant de leur griffes et de leurs crocs ardents tout ce que le feu atteignait.

Krysos toussa douloureusement avant de se replier. Personne ne pouvait avoir survécu ici, pas même Ferypenda ; son Don la rendait insensible à la douleur, pas immortelle. Tout au plus aurait-elle pu échapper à un feu ordinaire, mais à une telle fournaise déchaînée…

Les deux jumeaux se retirèrent dans un quartier voisin, assez loin de l'incendie qui continuait malgré tout de se propager. Bifurquant de nombreuses fois dans les ruelles, ils se retrouvèrent devant leur propre maison, une bâtisse de pierres solide. Ils y trouvèrent refuge et un air étonnamment un peu plus respirable. Entre deux halètements, Krysos s'adressa à son frère :

« Nous devons faire ce que Néphryth a dit : nous devons fuir. Du reste, c'est-ce que Fery aurait voulu. Tu te souviens de ce qu'elle disait souvent ? Que s'il devait arriver malheur au village, que si tout espoir était perdu, nous le retrouverions au nord ? Que nous devions suivre la Lune ? Alors, nous allons le faire, Beryl ! »

Son cadet exprima son inquiétude, teintée de découragement. Krysos tenta de le rassurer, malgré sa propre incertitude : avait-il bien interprété les paroles de Ferypenda ? Était-ce ce qu'ils devaient vraiment faire ? Il se souvint alors de l'étrange attitude de la prêtresse ces derniers temps : quand elle sortait de ses transes, les sombres présages qu'elle avait entrevus se lisaient sur son visage… Avait-elle en partie prévu cette catastrophe ?

Le crépitement des flammes se rapprochait sensiblement. Krysos bondit à l'étage de la maison et, entrant dans une chambre pourvue de deux lits accolés, il se laissa tomber à terre, fouillant sous l'un d'eux. Il se releva, tenant dans ses mains une épée enveloppée d'un linge blanc. Quand il redescendit, il remarqua que Beryl avait déjà rassemblé dans une besace le peu de nourriture qui se trouvait dans la maison : du pain et des fruits. Il le remercia de sa prévoyance par un sourire triste.

Les deux frères fuirent le village, laissant à contrecœur derrière eux l'incendie se charger de terminer le travail. Laisser brûler des cadavres était une tragédie, mais ils n'auraient pu se charger de les enterrer tous. Ils n'en avaient ni la force ni le temps. Les victimes ne reposeraient pas dans le sein de la terre dont-elles étaient issues, leurs ckairs ne retourneraient pas à leur matrice originelle, aucune gemmes ne naîtraient de leur mort afin de rappeler leur vie…

Ils se retrouvèrent au pieds des Pics Volcaniques. Aucun signe visible de la cohorte ennemie. Elle était sans doute bien plus loin, sur les pentes. Krysos sourit amèrement : on lui avait si souvent dit que les Pics étaient impossibles à traverser… Pas pour des hommes déterminés, visiblement. Et cela, dans un sens, lui redonna confiance. Si ces soldats caparaçonnés de fer avaient pu le faire, pourquoi pas eux ?

Beryl surprit sa pensée et prit peur. Son aîné le rassura, tout en ne lui cachant pas la vérité.

« Je veux retrouver cette femme, lui faire payer ce qu'elle a fait ! » tonna-t-il. « Il faut traverser ces montagnes, et si personne de TigrEye ne l'a encore fait, je peux te jurer que nous seront les premiers ! »

Il leva les yeux vers les cimes qui ne lui avaient alors jamais paru plus menaçantes. Les montagnes pointues semblaient le narguer d'en haut, l'invitant à tenter ce que, il y a à peine quelques instants, il pensait impossible. Le Monde Extérieur attendait au-delà… un monde dont-ils n'avaient tout deux jamais entendu que de vagues rumeurs, toutes plus ou moins légendaires.

Le village était anéanti, son peuple massacré, et pourtant quelque chose tout au fond de lui le poussait en avant, accompagné du secret espoir de récupérer ce que les siens avaient défendu de leur vie. Ce serait le dernier hommage à leur rendre… Il leur fallait suivre la voie de Ferypenda, suivre la Lune… Krysos se sentait capable d'entreprendre cette ascension périlleuse, mais Beryl le supporterait-il ? Il était bien moins résistant que lui…

Sentant son trouble, le jeune muet lui prit la main et posa sa tête sur son épaule, mêlant sa chevelure immaculée à la sienne. Ils tremblèrent à l'idée du périple qui les attendait.

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Leur marche s'était faite moins pénible depuis qu'ils s'étaient éloignés du foyer de l'incendie. Toutefois, ils avançaient lentement, tant à cause de leur abattement moral que de la difficulté du terrain, creusé d'ornières, de trous traîtres et même de précipices, les obligeant parfois à des contournements sur plusieurs mètres. Ils marchaient tête basse, les bras ballants et sans parler la plupart du temps, bien que n'ayant pas besoin de leur langue pour discuter.

Parfois, Beryl avait du mal à passer un obstacle et son frère devait l'aider à escalader un rocher ou à sauter par-dessus un trou. Il était vrai qu'avec la robe ample qu'il portait, il ne lui était pas facile de se débrouiller, et il dût même le porter à diverses reprises.

La Lune semblait plus grande ici que près du village, signe qu'ils avançaient bel et bien même si les distances semblaient trompeuses. La Lune était toujours visible dans le ciel, de jour comme de nuit, mais la nuit elle était bien plus brillante évidemment, et sa puissance magnétique était plus forte. Elle avait toujours exercé une attraction particulière sur les deux frères, comme si elle veillait sur eux de là-haut, telle une mère qui aurait perdu ses enfants. Les jumeaux avançaient toujours en regardant l'astre céleste, certains que s'ils ne la quittaient pas des yeux, ils ne se perdraient pas.

Un ensemble rocheux assez impressionnant se découpa dans la clarté diffuse. De forme arrondie, ovoïde même, un rocher éclaté en son centre laissait entrevoir une autre couche rocheuse, plus fine, elle aussi ovale, dont la base était incrustée de pierres précieuses qui brillaient dans la pénombre. L'ensemble semblait étrangement déchiqueté, comme s'il avait implosé. Les deux jumeaux s'attardèrent à cet endroit, contemplant l'étrange édifice rocheux, avec la conviction que c'était de cet endroit que leur avait parlé Ferypenda quand ils étaient petits, quand elle disait en murmurant « Je vous ai trouvé dans une pierre... »

Ils caressèrent les bords déchirés de la coque interne, essayant de se souvenir de ce qui s'était passé à cet endroit jadis, vingt ans auparavant. Les joyaux luisaient paisiblement, sans révéler aucun secret. Ils ne purent rester ici plus longtemps, tiraillés par la soif et la faim, et par le désir de sortir de ce labyrinthe de pierre hostile.

Sur leur route, ils croisèrent les restes d'un campement, un feu de bois mal éteint, et même quelques restes de victuailles. Ils s'en délectèrent comme ils purent, même s'ils savaient que cela avait été laissé là par leurs « ennemis« . Par contre, l'eau se faisait rare, et les quelques filets liquides miraculeux qu'ils purent trouver parmi les anfractuosités suffisaient à peine à étancher leur soif.

Ils s'arrêtèrent quelquefois pour se reposer mais pas trop longtemps. Ils utilisaient des pierres-flambeaux afin de faire du feu. Krysos compta ainsi deux jours et deux nuits depuis leur départ de TigrEye. Jamais il ne s'était sentit si démuni, si confronté à l'inconnu, et de plus, il avait peur pour son frère. Beryl était craintif par nature, et peu débrouillard, un peu comme un enfant, et si Krysos n'était pas là pour s'occuper de lui, il serait quasiment incapable de faire quoi que ce soit tout seul. Il le regarda pendant qu'il dormait, tourné sur le côté, ses poings légèrement crispés, ses lèvres entrouvertes laissant passer son souffle, la tête se balançant doucement, comme pour bercer sa peur...

Comme il l'aimait...

Si seulement il pouvait être « normal »... A son âge, son Don aurait déjà dû se manifester. Lui avait obtenu son Don à l'âge de douze ans, comme la plupart des gens, mais Beryl, lui, ne suivait pas le mouvement. C'était comme... bloqué à l'intérieur de lui, tout comme sa voix. Beryl n'était pas dans l'incapacité physique de parler, seulement... il ne parlait pas, voilà tout. Son frère arrivait toujours à comprendre ce qu'il voulait dire, en lisant ses expressions et aussi ses pensées. Peu de gens y arrivait.

Il était décidé à s'occuper de Beryl tout le temps qu'il faudrait. Et si cela ne changeait jamais ? S'il restait comme ça pour toujours ? S'il était condamné à ne jamais devenir un adulte ?...

Krysos vint secouer son cadet, doucement, pour le sortir du sommeil.

« Beryl, on a assez dormi. Il faut repartir. »

Et ils se remirent en route, toujours avec aussi peu d'entrain, mais avec l'espoir que le bout du chemin était peut-être derrière la prochaine montagne.

Ils finirent par prendre beaucoup d'altitude. Du point où ils étaient, ils pouvaient même apercevoir TigrEye, du moins ce qu'il en restait, un point fumant au fond d'une large dépression naturelle.

C'est alors qu'une immense ombre accompagnée d'un grand bruissement d'ailes apparut au-dessus d'eux. Les deux frères se jetèrent à terre à l'instant où le grand drakone passait sur eux, le cou allongé, les griffes dehors, les ailes déployées au maximum. Il avait surgi d'au-dessus de la crête, et fonçait maintenant vers la vallée. Il n'avait visiblement pas remarqué les deux jeunes gens à plat ventre ; son vol le porta bien loin, en bas, vers le village, au-dessus duquel il opéra un vol stationnaire, semblant attendre quelque chose.

Aussitôt, un autre drakone , encore plus grand que le premier, apparut au sud, et fondit également sur le village, suivit d'un autre congénère, et puis d'un autre. Jamais les deux frères n'avaient vu autant de drakone à la fois. Les énormes bêtes semblèrent s'engager dans un conciliabule, fait de grognements et de couinements. Puis, comme si un ordre avait été donné, ils se jetèrent sur ce qui restait du village. Tout ce qui n'avait pas encore brûlé succomba sous les feux démoniaques de ces monstres, qui balayaient de leurs queues massives les derniers restes de civilisation de ce coin de vallée. De leurs crocs, ils dévorèrent les corps restés là, comme de vulgaires proies, trop contents de ne pas avoir à se donner de peine...

Les deux frères étaient loin et pourtant ils voyaient parfaitement ce qui se passait, autant avec leurs yeux perçants qu'avec leurs coeurs meurtris. Ils se prirent les mains et murmurèrent une prière silencieuse pour le repos des âmes des défunts, si cruellement profanés. De la fumée s'éleva de nouveau du village détruit, et de temps en temps, un hurlement de drakone se faisait entendre.

Le village avait toujours été protégé de ces animaux, jamais ils ne s'en étaient approchés jusqu'à maintenant, mais quelque chose avait dû les appeler. Ou alors peut-être que était-ce le pouvoir des prêtres qui avait protégé l'endroit jusqu'à maintenant, ou celui du temple... Krysos regrettait de ne pas avoir posé plus de questions à ce sujet à Ferypenda...

S'élevant toujours plus haut, la pente se fit plus raide encore, et bientôt, ils durent même ramper afin d'avancer plus efficacement. Cette nuit-là, ils dormirent sous un gros rocher en surplomb, Beryl la tête sur les genoux de son frère. Celui-ci, tellement fatigué par l'effort de la journée, connu un sommeil absolu cette fois.

Le lendemain, ils se mirent en quête d'un peu d'eau. L'air était bien plus vif et plus pur aussi. Un ruisselet courait depuis le nord jusqu'à eux. Ils burent jusqu'à éclater cette eau délicieuse, dans laquelle il n'y avait aucune trace de cendre. Prenant leur courage à deux mains, ils entamèrent ce qu'ils espéraient être la dernière montée. Ils avaient repris des forces et ils trouvèrent même quelques racines comestibles sur leur route, qu'ils firent cuire en guise de petit déjeuner. Le village était loin à présent et même Beryl semblait avoir retrouvé un certain entrain. L'aîné tendit la main à son frère afin de l'aider à passer un rocher coupant, et ils se trouvèrent alors tout à coup sur un terrain plat, derrière les montagnes qu'ils apercevaient autrefois de chez eux. Et ce qu'ils virent était au-delà de tout ce qu'ils avaient pu imaginer...

Alors qu'ils n'avaient jamais connu que de la végétation rare et clairsemée, à leurs pieds s'étendaient des arbres. Une mer d'arbres. Ils connaissaient la mer, mais jamais ils n'en avait vu une constituée d'arbres. Tellement serrés qu'on ne pouvait voir le sol. Tellement étendue qu'elle se perdait dans les brumes lointaines du nord. Un vol d'oiseaux passa au-dessus de leur tête et se posa quelque part dans cette verdure. C'était ce que Ferypenda avait appelé la forêt de Fayalyth. Leurs nez captaient des odeurs qu'ils ne connaissaient pas, et leurs oreilles se tendait au doux bruit de chutes d'eau.

Leur calvaire était terminé. Ils avaient trouvé un endroit où la vie régnait en maître. Une vie inconnue pour eux, à découvrir, mais qui les appelait à venir partager ce miracle.

A la vue de tant de beauté, les deux frères manquèrent défaillir. Ils se prirent dans les bras l'un de l'autre et restèrent là, pendant un moment, trop émus pour dire ou faire quoi que ce soit d'autre.
Dernière modification par fallenRaziel le 28 nov. 2011 13:45, modifié 8 fois.
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Messagepar Sydeliah » 05 oct. 2011 3:42

Coucou ! je trouve ça bien que tu écrives quelque chose de 100% original, qui vient vraiment de toi. les rêves c'est étrange parfois, hein ! en tout cas, perso je trouve ça bien écrit et ça a l'air intéressant ! Alors continue ! :)
je n'ai juste pas compris ce qu'est la gemmologie. mais je vais me renseigner sur wiki de ce pas ! :p
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Messagepar fallenRaziel » 05 oct. 2011 22:07

Oui, écrire des fanfics commençait à me lasser^^
La gemmologie est la science qui répertorie et étudie les gemmes, donc les pierres précieuses, semi-précieuses, etc.
N'hésite pas à me laisser une critique si tu as le temps^^ Je vais poster le chapitre 2, tiens !

CHAPITRE 2 - La Voix d’Ambre

"La femme ne fut jamais pour moi que des paysages, que la rappeleuse d'heures, de pays et de paysages."



ls restèrent quelques temps aux abords d'une rivière tranquille, dans laquelle nageaient des poissons multicolores. Jouer dans une onde aussi pure était quelque chose de nouveau pour eux ; ils se baignaient et se séchaient longuement au soleil, dormant dans l'herbe touffue, parmi les fougères et les touffes de cigües, et les ombelles curieuses se penchaient sur eux. Le chant des oiseaux ravissaient leurs sens, et les rayons du soleil, filtrés par les branches des arbres, leur donnaient l'impression que des yeux géants les regardaient du ciel en clignant des paupières.

Mais rien n' était plus beau à leurs yeux que les couleurs dont se parait la forêt la nuit tombée, toute de bleu, violet et blanc, caressée par les pâles rais de la Lune ; tout se transformait alors en un paysage mystérieux et onirique, où le chant des rossignols et le cri des chouettes en chasse se mêlaient par intermittence. Les jumeaux prêtaient alors l'oreille, les yeux fermés, et il leur semblait dans ces moments-là entendre la voix de Ferypenda qui les appelait tristement…

Un jour qu'ils se reposaient après un copieux repas de poissons et de baies, un grognement sourd mais lointain se fit entendre derrière eux. Beryl se redressa en sursaut, et son frère posa la main sur le pommeau de son épée. Les deux jumeaux prirent alors conscience que des tas de choses peu recommandables pouvaient se tapir dans cette forêt. Ils avaient d'ailleurs assez traîné en chemin. L'aîné se rappela les soldats ennemis, toujours en marche pour il ne savait où, et qu'il devait rattraper coûte que coûte.

Les jumeaux s'approvisionnèrent en baies et en fruits, laissant l'eau derrière eux, persuadés de trouver des sources sur leur chemin. Ils firent leurs adieux à la petite rivière calme, et partirent vers l'ouest. L'aîné avait étudié l'itinéraire alors qu'ils se trouvaient encore sur la dernière crête des Pics Volcaniques : en suivant cette direction , ils finiraient par atteindre la mer et en la longeant, ils arriveraient bien quelque part. Humant l'air, une odeur salée leur indiqua la proximité de la mer .

Elle était ici plus tumultueuse qu'à TigrEye. Les vagues se pressaient sur le rivage désert, léchant les pieds des deux jeunes hommes. Ils décidèrent de prendre par le nord en suivant la côte. En marchant ainsi, entre forêt et mer, ils avaient l'impression de se trouver à la lisière de deux mondes différents, pas coupés l'un de l'autre comme l'avait été leur village et le reste du monde , mais se côtoyant en harmonie, les rouleaux d'eau salée venant presque recouvrir les racines des arbres parfois, transformant à certains endroits le rivage en mangrove.

Ils mangeaient du poisson et buvaient de l'eau aux quelques sources qu'ils trouvaient. L'aîné des frères confectionna un harpon rudimentaire et apprit à plutôt bien se débrouiller avec. Mais le rugissement tonitruant de la mer rendait le sommeil parfois difficile. Aussi lorsque la forêt se dispersa sur leur droite, faisant place à des terres herbeuses, les deux frères décidèrent de les traverser ; ils apercevaient des champs, et même des clôtures, signes d'une vie humaine dans les parages.

Ils se reposèrent un peu dans une grotte, entre deux bras de rivières, qui semblait inhabitée mais sur ses parois, on pouvait lire comme des signes gravés, ou des peintures anciennes. Des gemmes incrustées dans la roche brillaient vaguement à la lumière du soleil. Ces symboles leur parurent familiers, mais ils restaient malgré tout incompréhensibles pour eux. Ils reprirent leur route.

Des fleurs sauvages poussaient dans des champs à peine cultivés, et Beryl courait de-ci de-là pour en cueillir de pleines brassées. Le jaune, le rouge et le blanc se mêlaient au vert des vastes pâturages, dans lesquels quelques bêtes apprivoisées, qu'ils n'avaient encore jamais vues, paissaient tranquillement. Un troupeau de quadrupèdes à la crinière volant au vent passa près d'eux, et Beryl, timide, leur tendit son bouquet de fleurs qu'ils broutèrent avidement. Le jeune homme eut un rire silencieux et son frère sourit à son tour. Beryl piqua alors une fleur rouge dans les cheveux de son aîné, et celui-ci éclata franchement de rire cette fois.

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Au loin, de la fumée s'élevait dans le ciel bleu. Triste présage ou signe de civilisation ? A tout prendre, les jumeaux se dirigèrent dans cette direction. Aucun bruit de bataille ou d'odeur de mort ne planait dans les environs. Des cheminées et des tours se découpèrent sur le ciel, et ils surent alors qu'ils arrivaient dans un village, au premier coup d'œil pas très différent du leur, seulement un peu plus grand. Ici, ils trouveraient sans doute des informations sur ce qu'ils cherchaient.

A l'entrée, des hommes en armure légère les regardèrent passer non sans quelque intérêt. Ils ne leur posèrent pas de questions sur la raison de leur venue. Cette ville sembla accueillante aux jumeaux, avec ses pavés et ses toits rose foncé. Les maisons, à un ou deux étages, étaient toutes faites d'une pierre blanche rustique, et des fleurs pendaient aux fenêtres à petits carreaux. Cette architecture inconnue leur plu beaucoup. Elle respirait la joie de vivre et la prospérité.

Et pourtant, de temps en temps, les frères croisaient dans une rue ou une autre des soldats en livrée très semblable à celle qu'ils avaient déjà remarqué sur les hommes qui avaient dévasté TigrEye. Jugeant toutefois plus opportun de faire profil bas, ils ne s'en firent pas la remarque.

Une grande place, entourée de maisons, avec au centre une statue représentant un homme couronné, s'offrit alors à leurs regards, bourrée d'activité : des femmes criaient joyeusement pour attirer les chalands vers leurs étals, des hommes faisaient cuire du pain dans des fours, des broches parées de volailles en train de rôtir leur chatouillaient les narines. Beryl voulut se saisir d'une pomme qui trônait avec d'autres sur l'étal d'une bonne grosse femme, mais celle-ci se mit à l'invectiver avec force :

« Eh, jeune homme ! Ce n'est pas gratuit ! »

Beryl eut peur et reposa la pomme, ne sachant quoi faire. Son frère vint à son secours :

« Excusez-le, mais il ne sait pas de quoi vous parlez. Que voulez-vous en échange ? »

- Eh, de l'argent, pardi ! Tu crois quand même pas que je vais te donner ma marchandise pour rien !

- De l'argent ? Qu'est-ce que c'est ?

- Mais d'où vous sortez, vous deux ?! Allez, du balai ! »

Les deux frères s'éloignèrent, le dos rond, comprenant qu'ils n'avaient pas fini de faire le tour des choses qui leur étaient inconnues. Ils se reposèrent sur un banc et regardèrent attentivement les gens autour d'eux : ceux-ci échangeaient les denrées des étals contre des espèces de morceaux de métal. L'aîné comprit que c'était ce que la femme avait appelé « argent ». Visiblement, on ne pouvait rien obtenir ici sans ce sésame. A TigrEye, les habitants s'échangeaient des choses contre d'autres, mais à quoi pouvaient bien servir ces objets en métal ? Cela ne se mangeait pas…

L'aîné des frères s'avança de nouveau vers la femme à l'étal de pommes :

« Excusez-moi, mais où peut-on trouver de « l'argent » ?

- Va donc à la taverne, petit. Tu m'as l'air assez costaud, apprécia la bonne femme. Tu trouveras bien quelqu'un qui a besoin d'un coup de main.

- Je dois aider quelqu'un et on me donnera de l'argent, c'est ça ? demanda naïvement le jeune homme. C'est une récompense ?

- Si on veut. J'ai du travail, moi, alors ouste ! »

Les jumeaux savaient ce qu'était une « taverne« , mais celle dans laquelle ils entrèrent était bien plus grande et plus bruyante que celle de TigrEye : des serveuses se faufilaient dans la salle avec des plateaux remplis, des hommes visiblement avinés criaient des choses que les jumeaux ne comprenaient pas toujours, des bruit de chopes qu'on vidait ou qu'on posait sur la table recouvraient le tout ; bref, un vrai capharnaüm. Les gens d'ici ne semblaient pas très différents des habitants de TigrEye, tout au plus paraissaient-ils plus… affairés, plus pressés. Toute cette agitation les mettait mal à l'aise, mais l'aîné se dirigea malgré tout résolument vers le bar :

« On m'a dit que je pouvais gagner de l'argent ici ! cria-t-il au barman pour couvrir le bruit ambiant.

Le barman, les mains occupées à essuyer une assiette, le regarda avec une expression indifférente.

« J'ai besoin de personne ici. Pourquoi tu demanderais pas aux clients s'ils ont besoin de quelqu'un, mon garçon ? »

L'aîné fit le tour de la salle des yeux, et nota dans un coin la présence de trois gardes en armure, qui semblaient en grande conversation avec deux jeunes femmes ; visiblement, cela se passait mal, car l'une des deux femmes, coiffée d'une imposante queue de cheval, leur tendait son poing devant le nez. L'un des deux hommes la saisit alors par le poignet et voulut l'emmener, mais l'autre jeune femme, une rousse portant un chapeau à plumes, sortit une dague de sa botte et en menaça le garde. En une seconde, l'ambiance de la salle changea : des hommes criaient joyeusement en encourageant les protagonistes, mais les femmes sortaient en poussant des cris. Les serveuses allaient se cacher sous les tables et le barman, sortant de derrière son comptoir, leva les mains en geignant :

« S'il vous plaît, messieurs-dames, pas de bagarre dans mon établissement ! »

Mais les adversaires semblaient prêts à en découdre. Sentant que les jeunes femmes étaient en difficulté, l'aîné des deux frères sortit son épée de son fourreau et, la brandissant, sauta par-dessus les tables afin de se retrouver aux côtés de la rousse.

« On dirait que vous avez besoin d'aide ! Si je vous tire de là, vous me donnerez de l'argent ? »

- Je n'ai pas besoin d'aide, merci ! rétorqua la rouquine, en le regardant avec mépris.

- Je crois bien que si ! »

Et la lame de l'épée s'enflamma, comme un faisceau de paille, presque jusqu'à la garde. La jeune femme, fit un pas de côté, impressionnée malgré elle, et enfin, elle sembla vraiment regarder l'homme au teint pâle et aux cheveux blancs qui, sans raison apparente, s'était présenté pour la sauver.

« Monsieur ! hurla-t-il à l'autre bout de la salle à l'adresse du barman. Je vous confie mon frère, qu'il ne lui arrive rien ! »

Et, aussitôt, il se mit à imprimer à son épée de grands moulinets, fauchant les petits boucliers des deux gardes médusés, qui n'avaient pas du tout prévu de s'en prendre à un tel adversaire. Celui qui avait maintenu le poignet de la femme à la queue de cheval le lâcha subitement et prit lui-même son épée, mais la vue des flammes ardentes qui jaillissaient magiquement de la lame du jeune guerrier le firent reculer. Ils tentèrent bien quelques passes, mais, découragés devant l'opiniâtreté de leur adversaire, ils battirent bien vite en retraite. La jeune femme qui accompagnait la rousse avait mystérieusement disparu sans laisser de trace.

Tout le monde se calma et reprit plus ou moins ses esprits. Le barman courut vers l'aîné des jumeaux et lui secoua vigoureusement la main, le remerciant chaleureusement de son aide. Le jeune homme le regarda avec fierté :

« Je vous ai aidé, ça mérite bien une récompense ?

- Certes ! Vous l'avez bien mérité ! Chasser ainsi ses affreux gardes de chez moi ! C'était héroïque ! »

Il se précipita derrière son bar et fouilla dans une boîte, dont il sortit quelques pièces de monnaie.

« Je ne peux pas vous donner beaucoup plus mais vous avez toute ma gratitude ! »

Beryl se précipita sur lui, et, comme un enfant le ferait, il se mit à tambouriner doucement sur le torse de son frère, l'air mécontent.

« Je sais, Beryl, le calma son frère en écartant ses poings serrés, tu n'aimes pas quand je me bats, mais j'allais tout de même pas les laisser s'en prendre à cette femme sans défense…

- Que tu crois, jeune loup ! Qui est sans défense ici ?! »

Les jumeaux se retournèrent et tombèrent nez à nez avec la jeune femme rousse, les poings sur les hanches, l'air hautain. Elle dansait d'un pied sur l'autre, comme si elle attendait une explication.

« Je sais me battre, figurez-vous, seulement… ils m'ont prise par surprise, c'est tout.

- Ils allaient vous massacrer, oui, contra l'aîné sur le même ton en rangeant son épée dont les flammes s'étaient taries. C'était bien téméraire de votre part. Mais où est votre amie ?

- Vous en faites pas pour elle, elle sait se débrouiller» , répondit la rouquine, un sourire en coin.

L'aîné des jumeaux détailla la jeune femme des yeux : hormis sa chevelure rousse qu'on voyait du premier coup d'œil, elle portait un chapeau à plumes, des bottes de marche qui avaient visiblement bien servies, et une cape noire doublée orange à l'intérieur, retenue à l'épaule par une fibule représentant un instrument à cordes. A sa hanche pendaient une flûte et un petit sac de voyage. Elle avait une voix autoritaire qui contrastait avec son apparence frêle. Ses sourcils étaient froncés, mais on ne lisait pas de colère dans ses yeux ambrés, seulement un léger amusement. L'aîné des frères en fut un peu vexé…

Elle reprit la parole en montrant la porte du doigt :

« Et si on partait d'ici avant que les autres ne rappliquent ?

- Bonne idée », approuva l'aîné, et prenant son cadet par la main, ils sortirent en vitesse.

Juste à temps : une autre escouade de gardes entraient dans la taverne au moment où ils se glissaient tous trois dans une ruelle sombre.

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La jeune femme observa à son tour attentivement les deux jumeaux.

« D'où vous venez tous les deux ? Vous êtes pas d'ici, ça se voit…, demanda-t-elle, curieuse.

- Je suis Krysos, et voici mon frère Beryl, répondit l'aîné en mettant son frère devant lui. Nous sommes les seuls survivants de notre village, TigrEye, qui a été..

- Vous venez de TigrEye !? s'écria la jeune femme. Vous avez traversé les montagnes jusqu'ici ? Je pensais que c'était impossible pourtant.

- Nos assaillants l'ont fait aussi. Ils ont détruit entièrement le village, et ils sont repartis. A leur tête, il y avait une femme en armure dorée… »

La rousse se caressa le menton, l'air songeuse.

« Ca me dit quelque chose. Ils sont passés ici récemment. Tout le monde les a remarqué…

- Dans quelle direction allaient-ils ? Je dois le savoir !

- Du calme, mon tout beau, parle-moi de TigrEye : c'est vrai qu'il y a des Drakones ?

- Je vous raconterais tout ce que vous voulez si vous me dites où ils sont allés !

- Arrête de me vouvoyer, je suis pas assez vieille pour ça. Et je m'appelle Amber. »

Elle posa ses poings sur ses hanches, une position qu'elle semblait adopter souvent.

« Vous venez de TigrEye, alors. Le monde doit vous paraître bien grand. Vous avez bien de la chance d'être arrivés jusqu'ici vivants. Avec tous ces aya qui rôdent en ce moment…

- Qu'est-ce qu'un aya ? interrogea Krysos.

- Une méchante et grosse bête possédée par la magie, répondit Amber en faisant des geste menaçants avec ses doigts. Ils étaient plutôt rares dans le passé, mais il semble qu'ils se multiplient ces temps-ci… Dans la forêt de Fayalyth, il y en a un vraiment démoniaque, paraît-il… »

Elle contourna Krysos et regarda Beryl dans les yeux. Celui-ci se détourna, gêné.

« Il parle pas beaucoup, ton frère… Vous êtes toujours collés ensemble ?

- Beryl ne parle pas. Et il n'a pas encore de Don, c'est pour ça que je dois veiller sur lui.

- Pas de Don ? A son âge ? Voilà bien quelque chose de curieux dont je n'avais jamais entendu parler. C'est pas très… normal… »

Krysos s'interposa entre Amber et son frère et la repoussa méchamment.

« Il est normal !! Alors arrête de le regarder comme si c'était un monstre !

- Ca va, ça va, je lui veut pas de mal, à ton petit bout de chou ! »

Amber s'adossa au mur derrière elle, les bras croisés, jaugeant les deux jeunes hommes du regard.

« Ecoute, commença la jeune femme, je veux bien te dire où sont partis les soldats à condition que tu me racontes des histoires de ton village ; ça m'intéresse.

- Et pourquoi tant de curiosité ? »

Elle tapota la flûte qui pendait à son côté.

« Je suis barde, tu vois : j'écoute des histoires, et je les raconte à d'autres, avec ma flûte. Ecouter, c'est ma spécialité.

- Tu sais aussi beaucoup parler…

- Ca va !, rétorqua-t-elle avec exaspération. Alors c'est d'accord ? J'avais l'intention de quitter cette ville de toute façon…

- Au fait, comment s'appelle cette ville ? demanda Krysos.

- Tu te trouves à Krysopras, la ville la plus au sud de Zyrconia… Enfin, maintenant que TigrEye n'est plus… »

Les jumeaux baissèrent les yeux, désolés d'être obligés de constater cette évidence.

« Qui étaient ces hommes en armure ? demanda Krysos tout bas. Elles ressemblaient à celle des hommes qui ont attaqué notre village…

- Ce sont des soldats de l'Empire, de sacrés froussards quand ils sont seuls, lui répondit Amber sur le même ton. Il y a pas mal de mouvements de troupes en ce moment, dans le pays. On dirait que l'Empire prépare quelque chose, du moins c'est-ce que les gens racontent, dit Amber, comme pour elle-même. Sans compter les aya. Voyager seulement tous les deux pourrait être dangereux. Et puis, comme tu t'es imposé comme mon sauveur, tu ne vas quand même pas laisser une jeune fille sans défense parcourir ces contrées seule, non ? »

Krysos se gratta la tête, pesant le pour et le contre.

« Et puis ça te fera un peu de compagnie, vu que ton frère est peu loquace…

- Nous arrivons très bien à communiquer.

- Sans doute, mais le son de ma voix pourra mettre un peu d'ambiance ! Je vous chanterait des ballades. Et puis je connais cette région presque par cœur ! »

Krysos sourit. Sa décision était prise.

« Tu as raison, tout homme a besoin de compagnie.

- Et toute femme… Mais si l‘envie m‘en prend, je m‘en irai, quoi que tu en dises», murmura Amber.

Ils se serrèrent la main. Amber sortit de la ruelle et ses cheveux roux flamboyèrent au soleil, aveuglant momentanément Krysos.

« Les soldats vont fouiller toute cette zone. Il n'est pas bon de rester ici, informa Amber.

- Comment le sais-tu ?

- Je les ai entendu, là-bas, dans la taverne.

- Mais comment peux-tu ?…

- Je te l'ai dit : écouter, c'est ma spécialité. On y va ? »

Et elle détala en quatrième vitesse. En revenant sur la place du marché, Krysos s'arrêta devant l'étal de pommes. Il en prit une, donna les quelques piécettes qu'il devait à la bonne femme et donna le fruit à Beryl, en souriant de toutes ses dents.
Dernière modification par fallenRaziel le 27 nov. 2011 20:08, modifié 1 fois.
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Messagepar fallenRaziel » 11 oct. 2011 11:00

CHAPITRE 3 - Les Vents du Désert

"L'air est plein du frisson des choses qui s'enfuient."



La végétation se clairsema graduellement à mesure qu’ils avançaient vers le nord-ouest. Sur le conseil d’Amber, ils évitèrent les frondaisons de la forêt, dans lesquelles pouvaient se cacher des bêtes féroces. Des grognements de mauvais augure s’y faisaient régulièrement entendre. Quand cela arrivait, Amber plaquait ses mains sur ses oreilles avec une expression de profonde indisposition.

La jeune femme était d’un tempérament plutôt enjoué, et souvent de bonne compagnie, mais Krysos n’appréciait pas la façon dont elle se moquait parfois de Beryl. Dès qu’elle en avait l’occasion, elle le taquinait même lui aussi sur la façon dont il maternait son frère, et cela l’insupportait. Krysos essayait toujours dans ces cas-là de détourner la conversation en lui demandant de lui conter quelques histoires de Zyrconia. Alors, elle prenait sa flûte, et entre quelques notes scintillantes, elle narrait les récits des temps jadis : comment le vaillant empereur Azuryth avait repoussé la grande vague d’aya qui avait déferlé au nord ; comment le redoutable héros Bustam avait tenu le siège imposé par l’ennemi à son village, AguaMarina, semant la panique parmi des guerriers plus aguerris que lui ; et la façon on ne peut plus chevaleresque dont le roturier Chamber avait enlevé sa belle, la fille aînée d’Azuryth et princesse de SolaPiair, pour aller vivre comme des parias dans la forêt de Fayalyth, il y avait bien une vingtaine d’années de cela.

Elle leur parla de la prise de pouvoir de l’actuel empereur, Diaman, sur laquelle courait tout un tas de rumeurs peu glorieuses ; de la façon dont il trompait régulièrement son peuple, qui, mécontent, avait déjà créé quelques cellules de rébellion dans la capitale, SolaPiair.

« Diaman… , murmura Krysos, réfléchissant. C’est le chef des soldats qui ont détruit mon village, alors ?

- On peut dire ça, lui répondit Amber. La femme que tu as vu était sûrement un de ses sbires.

- C’est avec lui que j’ai affaire dans ce cas.

- Ne rêve pas, se moqua la jeune femme. Il n’y a aucune chance que tu puisses l’approcher : c’est un empereur, pas un vulgaire chef de village. Et il est entouré de courtisans et de soldats pour le défendre. Comment ferais-tu tout seul ?

- Je trouverai bien un moyen… », décida Krysos.

Ils campaient régulièrement, à la lueur de feu de bois ou à l’ombre de gros rochers et d’arbres isolés. Krysos s’inquiéta un peu du changement de terrain : les fleurs des champs avaient maintenant complètement disparu et le sol était constitué d’une terre sèche et assez aride. Le vent s’était aussi levé, comme s’ils avaient grimpé sur une hauteur, alors qu’ils se trouvaient toujours plus ou moins au niveau de la mer. Enfin, Krysos posa la question à Amber :

« Où nous emmènes-tu exactement ?

- Et bien, dans une direction que j’ai déduite : les soldats se dirigeaient vers le nord-ouest quand ils ont quitté Krysopras. Or, des soldats impériaux devraient en tout logique se diriger vers l’est pour gagner SolaPiair ; s’ils ont pris cette direction, c’est qu’ils ont quelque chose à y faire de précis ; et dans cette direction, la seule chose digne d’intérêt, c’est le village légendaire de LazuLapi.

- Le village… légendaire ?, répéta Krysos, incrédule.

- Oui, comme ton village de TigrEye. Sauf que celui-ci est quand même plus facile d’accès. Et ils vénèrent le vent là-bas, à ce qu’on dit. Je n’y suis jamais allée.

- Comment sais-tu qu’on va dans la bonne direction alors ?

- J’ai dit que je n’y était jamais allé, pas que j’ignorai comment y aller, rectifia Amber en secouant le doigt. Fais-moi confiance, je vais pas vous abandonner dans le désert, toi et ton petit bout de chou.

- Ca suffit !… », s’énerva le jeune homme.

Amber éclata de rire.

A l’écart, Beryl écoutait la conversation des deux jeunes gens. Quand il entendit Krysos hausser la voix pour tenter de le défendre, il baissa la tête, et dans ses yeux on pouvait lire un grand vide, comme si son cœur s’était soudain remplit d’une culpabilité impossible à effacer.

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La nuit était tombée. Cela faisait bien une bonne semaine qu’ils marchaient sur les conseils d’Amber, et encore aucun signe du village de LazuLapi. L’eau commençait à se faire rare, même s’ils prenaient soin de remplir au maximum l’outre d’Amber dès qu’ils le pouvaient. La nourriture également commençait à se raréfier, bien que les lézards grillés et les rats en brochettes ne soient pas si mauvais.

Krysos se demandait comment pouvait être le village du Vent, s’il ressemblait au leur, si les habitants ressemblaient à ceux de TigrEye. Les yeux levés rêveusement vers la voûté étoilée, il contemplait la Lune, si énorme car si proche. Il avait remarqué que quand ils se dirigeaient vers le nord, elle devenait plus grosse. Ils avaient commencé à se diriger franchement vers l’ouest, et elle avait déjà un peu diminué. Mais elle était toujours très grosse, au-dessus de leur tête, si grosse qu’on pouvait croire qu’elle était prête à tomber sur la terre. En plissant les yeux, le jeune homme eut même l’impression de distinguer, à sa surface, comme des reliefs étranges, des craquelures et des dentelures, un paysage lunaire…

Se secouant, il se retourna sur le côté, en se disant que c’était vraiment une idée stupide.

Tourné comme il l’était, il pouvait observer Beryl, lui aussi tourné de son côté, les poings fermés près de son visage. Il avait senti un changement chez son frère ces derniers temps, une émotion qu’il n’aimait pas trop. Beryl sembla sentir ses pensées, car il ouvrit les yeux et le regarda à son tour. Son frère lui sourit.

« Ne t’en fais, ça va, je me posais juste des questions… », commença Krysos, voulant couper court aux interrogations muettes de son frère.

Beryl le fixa avec insistance et une de ses mains vint se poser sur celle de son aîné.

« Je pensais au voyage, à la Lune… et à toi, c’est vrai. Tu n’as pas l’air très heureux en ce moment. C’est à cause de ce qu’elle dit sur toi ? »

Beryl n’acquiesça pas, mais il baissa les yeux, gêné.

« N’écoute pas ce qu’elle dit. Un jour, tu auras un Don, comme tout le monde, et je suis sûr aussi que j’aurai l’occasion d’entendre le son de ton rire. »

Son jeune frère se recroquevilla et ses yeux s’emplirent de larmes.

« Eh ! Tu n’est pas un poids pour moi ! protesta Krysos, triste que son frère ait pu le penser. Je m’occupe de toi parce que j’en ai envie ! Tu as besoin de moi, tu es mon frère, c’est normal que je le fasse ! »

Conscient qu’il avait haussé le ton, et que la nuit était silencieuse, il baissa la voix. Il entendit Amber bouger dans son sommeil.

« Qu’importe ce qu’elle dit. Elle ne sait rien de nous. Quand le moment sera venu, tu voleras de tes propres ailes. Et je serais là pour le voir ! »

Il s’approcha un peu de Beryl, qui avait arrêté de sangloter, et l’entoura de ses bras. Son frère se laissa faire et s’assoupit presque immédiatement.

Il ne laisserait pas cette femme faire du mal à son frère. Il allait lui dire clairement ce qu’il pensait de sa façon d’agir. Et pourtant, au fond de son cœur, si profond que même son frère ne pouvait s’y aventurer, les mots d’Amber trouvèrent une résonance. « Et s’il ne changeait jamais ? S’il restait toujours comme ça ? Tu devras rester avec lui pour toujours ? Au risque de passer à côté de ta propre vie ? »

Chassant ses pensées qui le torturaient, il ferma les yeux et envoya à son frère de doux et tendres rêves. Amber, de son côté, n’avait pas eu besoin de changer de position pour entendre toute la conversation chuchotée, aussi clairement que si elle s’était trouvée entre eux deux.

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La végétation se résumait à présent à quelques touffes d’herbes sèches et à quelques cactus. La route n’était pas particulièrement difficile, en tout cas après la traversée des Pics Volcaniques, celle-ci parut relativement douce aux jumeaux, mais la monotonie du paysage environnant n’était pas pour les encourager. Une dune de temps en temps venait briser la rectitude désespérante de l’horizon. Mais le désert des Vents Sacrés, tel que l’appelaient les habitants de la région, était surtout constitué de pierraille, réduite en fine poudre par l’action des vents parfois violents qui traversaient la région.

Une fois, ils durent se cacher derrière une pierre solitaire en attendant que se calme une véritable tempête. Le visage entre leurs genoux, la tête enroulée dans leurs vêtements, serrés les uns contre les autres, ils attendirent ainsi au moins une bonne heure avant de pouvoir repartir.

L’eau de la gourde d’Amber commençait à s’épuiser et pas un seul point d’eau n’était en vue. Ils durent se rationner. Par contre, les lézards ne manquaient pas. Amber prit même le temps, pendant qu’ils en faisaient griller quelques-uns, de leur expliquer comment un animal aussi petit pouvait devenir absolument monstrueux quand il était possédé par la magie. Krysos en profita pour lui décrire en détail les Drakones qu’il avait vu, insistant sur leur relative ressemblance avec ces lézards, les ailes en plus.

« Les Drakones sont des lézards à l’origine, dit Amber. Les Drakones sont des aya, les plus communs de Zyrconia. Normalement, ils demeurent tous au sud, mais quelques-uns survolent parfois d’autres régions.

- Je veux bien le croire. Ce sont des monstres sans coeur, lui répondit Krysos, se souvenant de ceux qui avaient achevé TigrEye.

- Il paraît qu’il est possible de dompter certains aya, mais je n’en ai jamais vu qui soient domestiqués. »

Après leur repas, ils reprirent la route, un peu plus vaillants. Amber semblait très contente que Krysos lui eu parlé des Drakones. Et, pour une raison qu’il ignorait, il en était content lui aussi.

Un minuscule point d’eau, peut-être le résultat d’une récente pluie, leur permit de remplir de nouveau l’outre d’Amber. Celle-ci se montra rassurante :

« Si mes connaissances ne me trompent pas, nous ne devrions pas être loin de LazuLapi. Courage, les garçons ! » les motiva-t-elle.

Beryl était très fatigué et sa robe blanche était toute sale d’avoir tant traînée dans la poussière. Mais il ne se plaignait pas, mettant un point d’honneur à prouver à Amber qu’il n’était pas si empoté que ça. Krysos sourit à cette idée. Ils en profitèrent également pour tremper leurs vêtements dans l’eau, afin de se rafraîchir en marchant. Quand Amber ôta ses habits et que Krysos la vit en sous-vêtements, une légère rougeur lui monta au visage. La jeune femme le remarqua :

« Tu n’as jamais vu une femme se déshabiller ? demanda-t-elle malicieusement.

- Euh…, balbutia-t-il, gêné. Bien sûr… que si… »

Il avait déjà vu Ferypenda en sous-vêtements, quand elle revêtait sa longue robe rouge feu de prêtresse, mais ce n’était pas pareil. Amber ne l’avait pas élevé et puis elle avait son âge, ce qui changeait presque tout…

La jeune femme rit devant sa gêne et revêtit ses effets mouillés tant qu’ils l’étaient encore. Mais de son côté, elle n’avait pas non plus été indifférente au torse musclé, pâle et glabre de Krysos…

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« Je les entends ! Je les entends ! »

Amber courait en avant, et les garçons avaient un peu de mal à la suivre. Krysos se demanda ce qu’elle entendait quand, après avoir escaladé une énième dune, il comprit : des habitations basses se découpaient sur le ciel clair non loin. Krysos se baissa et posa les mains sur ses cuisses en haletant.

« C’est le village de …

- … De LazuLapi, Krys, on y est ! »

Ce petit surnom était nouveau, Amber l’avait adopté après leur arrêt au dernier point d’eau. Krysos ne lui en tenait pas rigueur, mais il se résolut difficilement de son côté à ne pas l’appeler « Amby » ; les femmes se vexaient si facilement…

Glissant comme des lézards sur le ventre, ils se laissèrent tomber au pied de la dune. Ils atteignirent les premiers signes de civilisation : un vaste portique leur souhaitait la bienvenue avec, juste à côté, un puits. Ils se rassasièrent longuement. Des animaux de bât étaient attachés à un poteau du portique, avec du fourrage devant le nez. Ils avaient de gros museaux plats, des cornes recourbées et de larges oreilles presque horizontales. Leurs yeux n’exprimaient pas beaucoup d’intelligence, mais ils ne semblaient pas dangereux.

« Ce sont des alges, des animaux de bétail qui vivent en troupeaux, leur apprit Amber, remarquant leur curiosité. Il n’y en avait pas à TigrEye ? »

- Il n’y avait pas beaucoup d’animaux là-bas. Et pas de ceux-là en tout cas. Il y avait surtout des eliyas et des essèvéks…

- Il y en a sûrement ici aussi. Ce sont des animaux plutôt communs. »

En pénétrant dans la ville proprement dite, ils remarquèrent tout de suite quelque chose : il n’y avait personne dans les rues. Rien à voir avec l’animation de Krysopras. Peut-être les habitants étaient-ils assemblés quelque part…

Les maisons étaient basses et blanches, avec de très petites fenêtres pour se protéger de la chaleur. Certaines disposaient de vérandas recouvertes de paille, garnies de coussins, invitant au repos ou à la conversation. On pouvait deviner que les murs étaient épais, et qu’il devait régner à l’intérieur une fraîcheur bienvenue. Des murs de pierre avaient été bâtis tout autour de la ville afin de la protéger des vents violents du désert.

Tout comme à Krysopras, il y avait une grande place ronde, mais aucun étal et aucun vendeur. Les aventuriers se demandèrent où étaient passés les habitants.

« On dirait une ville fantôme… murmura Amber.

- C’est plutôt effrayant… », lui répondit Krysos sur le même ton.

- Ah non, attends ! J’entends des voix dans cette direction !

Amber se dirigea plus à l’ouest du village, guidée par son ouïe infaillible.

Effectivement, après avoir marché quelques minutes, ils virent un attroupement devant ce qui semblait être un grand temple circulaire, surmonté d’une coupole scintillante. L’architecture de ce bâtiment était bien plus raffinée que celle des autres, et Krysos pensa presque instinctivement au Temple du Feu du Sud de TigrEye. La forme était différente, mais il y avait des détails en commun… qu’il aurait été incapable de décrire. C’était comme une impression de déjà-vu.

Des fenêtres du temple, une lumière blanche filtrait par à-coups, comme une pulsation lente et régulière, lui rappelant la lumière rouge-orangé qui traversait celles du Temple de TigrEye… Il en avait la certitude : les deux bâtiments avaient la même fonction. Mais laquelle ?

S’approchant des gens attroupés, ils entendirent des mots prononcés avec conviction :

« Nous avons besoin de la Sylphyth, vous devez nous la confier, il y va de l’avenir de Zyrconia. »

Krysos essaya de se hausser sur la pointe des pieds pour mieux voir, mais il était trop loin pour distinguer à qui appartenait cette voix.

« Si nous vous la donnons, un malheur va arriver à notre village. Les Gemmes Légendaires ne doivent pas être déplacées, ou l’équilibre naturel des choses serait rompu.

- Si vous ne nous la donnez pas, un malheur encore plus grand s’abattra sur vous, et sur le monde entier. »

C’était une voix de femme, autoritaire et résolue, et en l’écoutant, Krysos se sentit un peu bizarre : comme s’il ne pouvait plus rien faire d’autre que de l’écouter.

« Nous la rendrez-vous quand… vous n’en aurez plus besoin ? demanda la deuxième voix, masculine, plus hésitante.

- Vous avez la parole de l’empereur Diaman, répondit simplement la voix féminine.

L’empereur Diaman ? Où avait-il entendu ce nom déjà ? Mais c’était sans importance, le plus important était de faire ce qu’elle ordonnait, il fallait lui donner cette Gemme Légendaire, et tout de suite, qu’attendaient-ils ? Il y avait urgence !

Il tourna la tête, et regarda Amber : elle semblait elle aussi troublée par la voix. Beryl, derrière lui, s’agitait nerveusement, mal à l’aise. Il put aussi lire sur le visage des gens autour de lui la même expression d’indécision.

« Très… très bien, décida la voix d’homme. Prenez-en soin. Obsidien, va chercher la Sylphyth. »

Un mouvement de foule se fit sentir et les gens commencèrent à se disperser un peu. Krysos put jeter un œil sur ce qui se passait au pied du Temple. Un vieil homme se tenait sur le seuil, les bras ballants, entouré de personnes en tenue de prêtrise. Formant un cercle plus large autour du Temple, des soldats en armure observait la scène, sans hostilité apparente. Des soldats portant une livrée familière… mais il avait du mal à mettre de l’ordre dans ses pensées, la voix de la femme résonnait encore dans sa tête. Il l’entendit à nouveau :

« Vous ne regretterez pas de vous être séparés temporairement de votre bien le plus précieux. »

Il leva les yeux, troublé. Celle qui avait parlé se tenait aussi sur le seuil du temple, semblant toiser le vieil homme de haut. Krysos se frotta les yeux : il voyait l’armure dorée, et la natte de cheveux blonds qui se balançait à l’arrière du casque… Il voulut crier quelque chose mais ne put. Quelque chose l’en empêchait : c’était la voix de cette femme… cette femme qui…

Krysos tomba à genoux, et Amber plongea à son côté. Beryl se jeta presque sur son dos, inquiet de sa chute. Il essaya de leur parler :

« C’est elle… elle… la femme en armure… à TigrEye… »

Une vague de rage incontrôlable s’empara de lui, et il voulut saisir son épée, mais Amber lui plaqua la main au sol.

« Tu vas pas déclencher une bagarre ici, non ? Je te rappelle qu’on est pas seuls… » le raisonna la jeune femme.

La femme en armure fit les cents pas, tournant en rond, lentement, comme un fauve en cage. Elle jaugeait les gens du regard, sous son casque à la visière baissée. Krysos sentit sa faiblesse diminuer, et des murmures désapprobateurs commencèrent à se faire entendre. La voix de la femme s’éleva à nouveau :

« Personne n’oubliera le rôle qu’aura joué LazuLapi dans la sauvegarde de Zyrconia ! »

Les murmures moururent. L’attention de tous étaient de nouveau concentrée sur elle. Il y avait quelque chose de reposant dans sa voix, de calmant, de sécurisant…

Un homme habillé en prêtre ressortit du Temple. Il portait dans ses mains un objet qui émettait une lumière tremblotante, battante, comme un petit cœur d’oiseau. La lueur blanche avait disparu du Temple, et semblait s’être rassemblée entre les mains de l’inconnu, brillant si fortement que sa robe noire semblait blanche.

Secouant la tête et clignant des yeux, comme s’il retrouvait ses esprits, il ne sut quoi faire sur le moment, et sa tête se tournait tour à tour vers le vieux chef du village et vers la femme en armure. Celle-ci se dirigea vers lui en disant :

« La Sylphyth sera entre de bonnes mains, donnez-la moi. »

Son indécision disparue, le prêtre remit à la guerrière ce qui sembla être, au yeux de Krysos, une petite pierre translucide, qui tournait lentement sur elle-même ; la lumière de la gemme disparut dans la cape de la femme. Elle fit un geste en direction d’un des soldats qui les entouraient et finalement, ils commencèrent à s’ébranler en direction de la sortie du village. La foule se fendit pour les laisser passer.

Quand elle passa près d’eux, Krysos et Beryl se sentirent diminuer, se recroquevillant comme des bêtes apeurées. Amber dû même se tenir à l’épaule de Krysos pour ne pas tomber. Tous les habitants du village autour d’eux semblaient pris du même état de faiblesse.

Quand elle se fut suffisamment éloignée, le trio reprit ses esprits. Krysos retrouva sa voix et ses forces, et, bondissant sur l’estrade surélevée devant le Temple, il harangua la foule qui commençait à se disperser !

« C’est une menteuse !! Elle a détruit mon village ! Et elle nous a aussi volé quelque chose ! Une pierre, comme la vôtre !! Elle a détruit TigrEye ! »

Krysos ne savait pas exactement ce qu’elle avait volé à TigrEye, mais il lui paraissait clair maintenant que le Temple du Feu du Sud avait aussi abrité une pierre semblable à celle de LazuLapi. Il se souvenait de la lueur rouge qui avait disparu sous la cape…

Krysos se tut, haletant, guettant la réaction de la foule. Tous se tournèrent vers lui et le regardèrent comme si ils sortaient d’un rêve, ou comme s’ils voyaient clair enfin depuis plusieurs heures. Après plusieurs minutes, une femme leva le bras et cria :

« Il a raison ! Elle a volé notre Sylphyth ! C’est un sacrilège ! »

Les autres personnes présentes se mirent à crier des choses semblables, mécontentes, mais aussi désemparées de s’être laissé abuser. C’était la voix de la femme : elle les avait trompé avec sa voix. Quand elle parlait, ils s’étaient sentis obligés de croire tout ce qu’elle disait, aucun n’avait eu le choix. Le prêtre, qui était toujours debout sur l’estrade devant la porte du Temple, hébété, se laissa tomber à genoux et frappa le sol de ses poings. Le chef du village se tordait les mains en regardant Krysos, comme s’il lui demandait des yeux ce qu’il devait faire.

« Il faut les rattraper ! hurla Krysos pour tenter de sortir tout le monde de la torpeur. Ils doivent être à peine sortis du village ! »

Et il dégaina son épée, qui s’enflamma aussitôt. Les habitants du village, galvanisés par le courage de ce guerrier inconnu, saisirent tout ce qui se trouvait à leur portée pour s’en faire des armes : pelles, pioches, bâtons, truelles… Beryl et Amber, au milieu d’eux, se virent pousser inexorablement en arrière, vers la sortie du village, cernés par ces gens furieux. Mais c’est alors qu’une autre voix, empreinte d’une grande majesté, retentit à l’intérieur même du Temple :

« Mes enfants, calmez votre colère. Vous battre n’est pas la solution . »

Un léger bruit de soie flottante et de bracelets cliquetants se fit entendre derrière Krysos. L’épée encore brandie en l’air, il se retourna pour voir qui arrivait : de l’intérieur du Temple, une petite procession de prêtresses sortait au grand jour. Au milieu d’elle, tellement recouverte de vêtements blancs et légers qu’elle en disparaissait presque, une femme, grande et majestueuse, avançait à petits pas, les mains ouvertes, paumes vers le ciel. Elle portait sur la tête un voile de dentelle fine qui tombait jusqu’à ses pieds. A travers les broderies, Krysos put apercevoir un œil doux et plein de pouvoir posé sur lui.

« Mère Amethys ! » s’écria l’assemblée.

Le prêtre se jeta aux pieds de la dame et froissa de ses mains la soie de sa robe. Elle le toucha de la main et il se releva. Le chef du village, se tordant toujours les mains, s’approcha avec déférence de la grande femme et lui demanda en geignant :

« Mère Amethys, que devons-nous faire ? Apporte-nous ta sagesse en cette heure sombre… »

- Mon brave, répondit-elle sur un ton éthéré et presque monocorde, le destin en a voulu ainsi ; aurions-nous tenté de nous y opposer que le mal en aurait été plus grand. »

Tandis qu’elle parlait, son regard voilé restait fixé sur Krysos ; celui-ci posa son épée à terre et s’agenouilla devant elle. Pendant un instant fugace, il avait eu l’impression de revoir Ferypenda : la même majesté, la même voix, les mêmes gestes… Il en fut bouleversé.

« Vous êtes la… prêtresse-mère du Vent ? demanda-t-il, la voix un peu hésitante, tremblant de son audace.

- Tu sais ce que je suis. Mais toi, mon enfant, qu’es-tu ? »

La question surprit le jeune homme. Il osa lever les yeux vers elle, et il croisa tout près de son visage, un regard de la couleur des fleurs blanches par une nuit de pleine lune. Un regard bienveillant mais non pas moins curieux, dans lequel on pouvait lire une certaine… révérence…

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Ils se retrouvèrent tous les quatre dans une petite pièce ronde, avec au centre un foyer carré où brillait un photophore ouvragé, dispensant une lueur douce. Le sol était jonché de tapis et de coussins moelleux, aux motifs étranges mais élégants. Tout dans cette pièce invitait au repos.

Mère Amethys s’était assise en tailleur, ses grandes mains posées sur ses genoux. Elle avait relevé son voile, laissant apparaître un visage agréable, d’une beauté sereine ; elle ne paraissait pas particulièrement âgée, mais ses yeux reflétaient une sagesse qui dépassaient ses années. Du regard, elle incita ses trois visiteurs à s’asseoir de même. Amber, puis Beryl, et enfin Krysos prirent place, en cercle autour d’elle. Elle commença par les observer attentivement :

« Vous avez fait un long voyage pour arriver jusqu’ici. Et je subodore que votre périple ne fait que commencer, prononça-t-elle de sa voix douce au rythme lent. Deux d’entre vous viennent de TigrEye, me semble-t-il. Parlez-moi de votre village. Que lui est-il arrivé ? Voilà bien des jours que je n’ai plus de nouvelles de Mère-Ferypenda… »

- Vous connaissez Fery ? Sursauta Krysos.

- Bien des fois ai-je eu le privilège de converser avec elle par l’esprit. Un esprit puissant… Mais sa voix spirituelle s’est tut il y a peu. Parlez-moi de ce qui est arrivé ? »

Krysos fit le récit de ce qui s’était passé ; cela lui semblait une éternité maintenant. Les soldats impériaux, la femme en armure, la pierre volée… Il ne s’arrêta que lorsque son récit arriva au moment de leur entrée dans Krysopras.

« Vous y avez rencontré votre jeune amie, n’est-ce pas ? C’est grâce à elle que vous avez trouvé votre chemin dans le Désert des Vents Sacrés. Pardonnez-moi, continuez… »

Krysos continua jusqu’à l’apparition de LazuLapi au loin, de leur surprise de ne voir personne et de leur impuissance à empêcher le vol de la pierre.

« Personne ne pouvait rien y faire, soupira la prêtresse-mère. Le moment était venu de nous séparer de la Sylphyth. Et le moment était venu pour vous aussi de perdre la Dragonyth…

- La Dragonyth ? C’est la pierre de …

- La Gemme Légendaire du Feu. Ces pierres ont une vie et un destin propres, et il n’appartient pas aux hommes de l’entraver. Malheureusement, quand une Gemme Légendaire quitte son Temple, cela entraîne irrémédiablement la destruction des terres environnantes. C’est-ce qui est arrivé à TigrEye. Le feu élémentaire s’est déchaîné et à tout détruit. Les troupes de l’Empire n’ont pas eu besoin de s’en charger. L’équilibre des forces de notre monde repose sur un fil ténu, tendu au maximum par les Gemmes Légendaires ; qu’une seule de ses pierres soit déplacée, et l’équilibre est rompu.

- Mais ils ont tué aussi… tous ces cadavres… transpercés…

- Oui, cela est impardonnable. Et je comprends ta haine envers cette femme, mais pour l’instant, il serait vain de ta part de vouloir te venger. Nos ancêtres ont caché ces pierres il y a très longtemps afin de les soustraire à l’avidité des hommes, ; mais un tel stratagème ne pouvait durer éternellement. Comme je te l’ai dit, cela était écrit…

- Où cela ? demanda Krysos, impatient d’en savoir plus.

- Une ancienne prophétie a été prononcée jadis, par un être ancien et sage. Elle prévoyait que l’équilibre serait rompu un jour où l’autre, et que le jour où cela arriverait serait aussi celui de grands exploits. J’ignore le but que poursuit l’empereur Diaman, mais quoi que ce soit, cela présage de grands malheurs à venir. »

Krysos se rassit et se calma. Elle avait raison, il ne servait à rien de s’énerver.

« Ferypenda m’a aussi parlé de vous. Elle m’a dit que vous étiez une grande guérisseuse, commença Krysos, changeant de sujet.

- Elle fut bien aimable de dire cela, répondit Mère Amethys en souriant. Disons que je connais les causes et les remèdes de nombreux maux qui peuvent affecter le corps et l’esprit. As-tu une requête à formuler dans ce sens ? Es-tu blessé ? Ou l’un de tes compagnons ?

- Mon frère… il… Pourriez-vous l’examiner ?

Les yeux vagues et en même temps si acérés de la prêtresse-mère se posèrent sur Beryl, derrière son frère, qui s’agita tout à coup, mal à l’aise. Il comprit qu’il allait devenir le principal sujet d’attention, et cette idée ne lui plaisait guère.

« Ton frère… oui…, murmura Mère Amethys. Il ne semble pas blessé. De quoi souffre-t-il ?

- J’avais espéré que vous me le diriez. Voilà plusieurs années qu’il aurait dû développer son Don, mais il n’en est rien. Et je crois que cela a un lien avec le fait qu’il ne parle pas.

- Pas de Don ? A un âge si avancé ? s’étonna la prêtresse. Les Dons se manifestent habituellement au moment du passage à l’âge adulte. Cela est très étrange. Depuis que je vis, je n’ai jamais entendu parler d’un tel cas. Je vais l’examiner. »

Krysos poussa doucement son frère vers la prêtresse. Beryl baissa les yeux au début, impressionné par la prestance de la femme devant lui, mais son regard chaleureux le mit finalement à l’aise et il se laissa faire docilement. Les grandes mains d’Amethys se tendirent vers son visage, touchèrent ses pommettes, ses joues, son menton, semblant fouiller dans ses traits la cause de sa particularité si rare.

« Ses yeux sont voilés, diagnostiqua-t-elle. On ne rencontre ce genre de phénomène que chez les prêtres et prêtresses les plus puissants. Mais dans son cas, cela reflète autre chose : dans ses yeux flotte une certaine confusion mentale, comme un doute sur le monde qui l’entoure. Il semble ailleurs. Très loin de nous…»

Elle tâta ensuite délicatement le cou de Beryl, insistant particulièrement sur la gorge. La pomme d’Adam de Beryl tressauta sous le contact.

« Ses cordes vocales ne semblent pas endommagées. Sa langue non plus. Tout me paraît tout à fait normal à ce niveau. Mais il n’est pas à exclure que son mutisme soit le résultat d’un blocage psychologique.

- Un blocage… psychologique ? répéta Krysos. Pourquoi s’est-il produit ? Nous sommes jumeaux, et moi je n’ai rien de tout cela.

- C’est pas parce que vous êtes jumeaux que vous êtes semblables, intervint Amber, qui s’était penchée en avant pour mieux observer.

- Cette jeune fille a raison, acquiesça la prêtresse. Vous êtes très différents, comme les deux faces de la Lune… Je sens en toi une détermination et une volonté très fortes. Je ne sens rien de tel chez ton frère. Et pourtant, là, juste derrière, je sens tout de même quelque chose de grand… Quelque chose qui voudrait sortir mais ne le peut pas… pas encore du moins… C’est… bloqué à l’intérieur de lui, et je n’arrive pas à traverser cette barrière qu’il m’oppose malgré lui. »

Beryl la regarda d’un air désolé et la prêtresse-mère lui sourit gentiment en reposant ses mains sur ses genoux.

« Je sais que cela n’est pas de ta faute, mon enfant. Malheureusement, je ne peux pas t’aider davantage. Il te faut l’avis de quelqu’un de plus sage et de plus avisé que moi.

- Où peut-on trouver une telle personne ? interrogea Krysos, se demandant d’ailleurs si une telle personne existait.

- A l‘est, de l’autre côté de la Forêt Lunaire, se trouve les Cavernes de l’Oracle Lunaire. A l’intérieur est maintenu captif l’Oracle de la Lune, le grand Emerald en personne. Quelque chose me dit qu’il saura répondre à toutes vos questions.

- A l’est ? D’accord, nous irons à l’est, décida Krysos. Amber, elle, ne sembla pas particulièrement ravie.

- Mais je me dois de vous informer malgré tout, continua Mère Amethys. Si ce que dit la prophétie est vraie, alors les soldats de l’empereur ne vont pas s’arrêter là. Il reste encore deux villages légendaires, un au nord et un à l’extrême est de Zyrconia. Leurs Gemmes sont sans aucun doute en danger également. Notre temps semble fini. Les habitants d’AguaMarina et de CatEye seront les prochains à tomber…

- On ne peut laisser faire ça ! s’insurgea Krysos. Nous devons les protéger !

- Cela serait vain, mon enfant, soupira Amethys. Les vents, à l’extérieur, se déchaînent déjà. Je ne sais combien de temps il nous reste avant que notre cher village ne soit englouti par les sables. Je les contient du mieux que je peux le temps que mon peuple puisse s’enfuir. Où irons-nous ? Je ne le sais. Mais ce dont je suis sûre, c’est que les autres villages légendaires vont succomber. On ne peut aller contre l’avenir, même si on peut le modifier à notre convenance, cela ne reste qu’un contretemps…

Elle se leva, majestueuse dans sa tristesse, mais aussi pleine d’une force intimidante.

« Vous ferez ce que vous jugerez bon. Vous rendre au nord pour tenter de sauver la Neptunyth d’AguaMarina, ou vous diriger vers l’est trouver des réponses à vos questions auprès d’Emerald : quoi que vous décidiez, vos pas tracerons sans doute une partie du destin de Zyrconia. Je lis une grande force en vous deux, dit-elle en désignant Krysos et Beryl. Une force qui n’est pas de ce monde… Quant à moi, je dois apaiser mon peuple et le diriger dans la bonne direction en cette heure de ténèbres. Tel est le rôle d’une prêtresse-mère. »

Krysos se leva à son tour. Il se sentait prêt à agir, envers et contre tout. Il savait que s’il décidait d’aller au nord ou à l’est, ses compagnons le suivraient, mais il était indécis. Un gigantesque dessein dont il n’aurait jamais eu l’idée commençait à apparaître devant eux. Et, qu’ils le veuillent ou non, ils se trouvaient maintenant au cœur d’évènements funestes qu’ils allaient devoir affronter.
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Messagepar fallenRaziel » 27 nov. 2011 20:18

Chapitre 4 - Les Arbres à Tortues


« Où est dans le ciel l'arbre dont la Lune est le fruit ? »


Tous s'affairaient autour d'eux. Des chariots chargés à plein de tout ce que ces gens ne pouvaient supporter de laisser derrière eux étaient déjà rangés en fil indienne, en direction de la sortie du village, vers le désert. Des montures étranges, aux longues oreilles toutes droites, à la mâchoire tombante et au long cou, portaient sur leurs dos tout le ravitaillement possible, indispensable à une longue marche. Des enfants pleuraient, des adultes criaient et au milieu de tout ce tintamarre, le chef du village donnait des directives :

« Ce lamag là-bas n'a pas encore été chargé ! Dépêchez-vous, nous devons être partis avant que les vents violents ne se lèvent ! »

Le trio ne savait pas trop quoi faire au milieu de cette débandade. On leur avait donné de nouveaux vêtements : une tunique légère, ainsi qu'une fine cuirasse pour Krysos, une combinaison bouffante pour Beryl et une robe courte et des cuissardes pour Amber. Ils sortaient juste de la tente d'Amethys, et avant qu'ils n'aient eu le temps de dire quelque chose, on leur apportait deux montures.

« Prenez ces lamags, ils vous éviterons de marcher jusqu'aux monts Lepidolyth » leur conseilla le meneur des bêtes.

Sur les harnais des animaux, on avait accroché des outres d'eau et des sacs de nourriture. Reconnaissants, Krysos et Amber guidèrent les animaux vers la sortie du village. Ils se faufilèrent tant bien que mal dans la caravane, les lamags ne semblant guère supporter les alges, qui tiraient les chariots. Enfin, ils arrivèrent à la tête de la caravane, dont le premier chariot abritait Mère-Amethys en personne.

« Êtes-vous prêts, mes enfants ? Nous devons nous hâter, les vents approchent. »

Près du chariot de tête, un autre lamag prêt à être monté attendait. A ces côtés apparu le jeune prêtre qu'ils avaient déjà aperçu tantôt, celui qui était allé cherché la Sylphyth. Il tenait sa bête par le harnais et regardait les trois aventuriers avec intérêt. Enfin, il s'approcha d'eux et demanda à Krysos :

« Je suis Obsidien Sombrafale, prêtre de la Sylphyth. Je voudrais vous demander de m'autoriser à vous suivre au nord.

- Pourquoi ? lui demanda Krysos, qui montait tant bien que mal sur son lamag . Nous avons déjà un guide. »

Amber lui fit un sourire.

« Ce n'est pas pour vous guider que je voudrais vous accompagner : je veux retrouver la Sylphyth.

- Ne t'inquiète pas, nous retrouveront les Gemmes Légendaires et nous vous rapporterons la vôtre.

- Là n'est pas la question ; c'est à moi de le faire. C'est de ma faute si cette femme s'en est emparé.

- C'est de notre faute à tous, lui dit Krysos, en baissant les yeux sur lui.

- La mienne surtout. Et je ne pourrais pas trouver la paix tant que je n'aurais pas tenté de faire quelque chose pour réparer cette erreur. J'ai failli à mon devoir de prêtre. La moindre des choses est que je partage votre voyage.

- Et si notre réponse est non, que feras-tu ? lui demanda Amber, qui, elle aussi, avait réussi à monter en selle.

- Je vous suivrai malgré tout. Les routes de Zyrconia sont à tout le monde après tout, lui répondit Obsidien, presque avec un rire dans la voix.

- Merveilleux. Moi qui me disais que ça commençait à manquer d'hommes… » siffla Amber, en regardant Beryl du coin de l'œil.

Krysos entendit le sarcasme, mais décida de ne pas le relever, tout en jetant à Amber un regard qui en disait long sur sa façon de penser.

« Je ne serais pas un poids pour vous, je sais me défendre, informa Obsidien en attirant l'attention sur la petite rapière ouvragée qu'il portait au côté. Et je sais générer des boucliers de vent qui peuvent s'avérer très efficaces en combat.

- Des boucliers de vent ? s'étonna Krysos, occupé à faire monter Beryl sur son lamag , devant lui.

- Oui, j'étais chargé d'ériger une barrière venteuse autour de la Sylphyth. J'étais le seul à pouvoir l'annuler… »

Krysos et Amber se regardèrent brièvement. Amber eut une expression qui semblait dire « fais ce que tu veux » ; quant à Beryl, ses pensées semblaient favorables à la présence du prêtre. Krysos prit alors une décision collective :

« Très bien. Viens avec nous si tu veux, une aide supplémentaire ne peut pas être un mal.

- Merci ! Vous ne le regretterez pas ! » se réjouit Obsidien en montant à son tour sur son lamag qui s'impatientait.

Mère-Amethys avait suivit la scène avec attention. Elle était satisfaite que le jeune Obsidien prit part à la quête des aventuriers, au nom de LazuLapi. Une fois que le prêtre fut en selle, elle donna le signal du départ. La caravane s'ébranla alors, lentement, puis plus rapidement en direction de l'est. Les exilés ne savaient pas encore où il échoueraient, mais la seule chose qui semblait importante pour eux à présent, c'était de s'échapper de cet endroit, ce foyer si cher à leurs cœurs, qui bientôt ne serait plus que poussière.

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Après quelques kilomètres dans le désert, le groupe songea qu'il était temps de quitter la caravane. Celle-ci continuait à l'est, mais pour leur part, c'était vers le nord et les monts Lepidolyth qu'ils devaient diriger leurs pas. Obsidien vint faire ses adieux à ses proches, et s'attarda auprès de la prêtresse-mère :

« Je prierai la Lune de veiller sur votre route afin qu'elle vous soit douce, ma Dame. Je vous remercie pour toutes les choses que vous m'avez apprises, même pour les plus difficiles !

- Je prierai aussi pour vous quatre, mon enfant, lui répondit doucement Mère-Amethys en lui caressant la joue d‘un doigt fin. Tu as été le meilleur élève que j'ai jamais eu. Que la Lune vous illumine de sa face blanche dans les chemins sombres. »

Et ils se quittèrent ainsi. Pas de larme de part et d'autre. Les quatre aventuriers restèrent un moment à contempler la caravane qui s'éloignait à l'est. Puis, ils tournèrent bride et leurs regards embrassèrent la chaîne de hautes montagnes qui leur barrait la route vers les terres plus vertes du nord-ouest.

« C'est par ici que ça se passe maintenant, commenta Amber. Ce ne sera pas de tout repos, ce sont des très hautes montagnes.

- On a en a vu d'autres, pas vrai, Beryl ? lança Krysos à son frère en souriant. Beryl eu un sourire intérieur.

- J'aimerais connaître le récit de votre voyage, dit Obsidien.

- On verra plus tard, quand nous nous arrêterons. Nous ferons notre première halte aux pieds des monts, pas avant » , décida Krysos.

Et il se mirent en route, sentant la force des vents qui commençait à augmenter subtilement. Une petite tempête de sable les accompagna jusqu'à la sortie du désert, et ils rabattirent des capuchons sur leurs têtes afin de s'en protéger. Des cadeaux des habitants de LazuLapi.

La pierraille avait laissé place à une végétation rase et peu fournie, mais déjà les aventuriers sentaient que le climat changeait. L'air se fit moins chaud, et une rivière, descendant des monts, leur donna un bon emplacement pour leur premier campement depuis leur départ du village. Il restait encore quelques pierres flambeaux dans le sac de Krysos et il en utilisa pour faire un feu. Le simple geste qui consistait à choquer les deux pierres l'une contre l'autre lui rappela TigrEye. Son regard se fit lointain, et, instinctivement, il regarda vers le sud. Obsidien remarqua son attitude et lui demanda :

« Tu ne veux pas me parler de ton village ? »

Et Krysos lui raconta. La vie là-bas, le quotidien, les dangers des volcans, les drakones, leurs jeux, leurs amis… Amber s'approcha un peu pour entendre plus à son aise, car Krysos racontait des choses qu'elle n'avait pas encore entendue. Parfois, à l'évocation d'un souvenir particulier, Beryl poussait un soupir silencieux, qui soulevait seulement sa poitrine, sans aucun son. Quand Krysos en arriva au moment de l'attaque du village, Obsidien l'arrêta, en lui posant une main sur le bras :

« Ne te force pas. Je comprends ce qui s'est passé, pas besoin d'entrer dans le détail.

- C'est que cela me paraît tellement loin déjà, soupira Krysos. Alors que c'était il y a à peine un mois. Il s'est passé tellement de choses dans nos vies, depuis. »

Il regarda Beryl, mais celui-ci s'était déjà endormi.

« Nous avons appris tellement de choses en si peu de temps, que parfois j'ai du mal à tout mettre en ordre dans mon esprit. Par exemple, on ne sait toujours pas pourquoi des gens mal intentionnés en veulent aux Gemmes Légendaires. A quoi peuvent-elles bien leur servir ? se demanda le jeune homme.

- Les Gemmes Légendaires ne sont pas que des pierres destinées à préserver l'équilibre des forces du monde, lui expliqua Obsidien. Elles renferment un savoir qui fut jadis à la portée de tous, mais qui aujourd'hui doit demeurer caché. Pour le bien des humains. C'est pour cela que les villages légendaires ont vu le jour. Ils ont été fondés par des ancêtres sages et bienveillants dans le but de cacher ces joyaux.

- Les Temples sont des écrins en quelque sorte ? intervint Amber.

- Tout à fait. Mais toutes les gemmes de Zyrconia ont un pouvoir qui leur est propre. Elles sont vivantes, elles ont un passé et des choses à raconter. Ce sont les voix de nos ancêtres. »

Krysos se souvenait que le culte des ancêtres avait toujours été très présent à TigrEye. Sur leurs tombes, on sertissait des pierres de toutes les couleurs afin de se rappeler d'eux, comme si chaque pierre était la manifestation physique de chaque mort. Chaque gemme était unique, elle possédait ses propres inclusions, ses propres reflets, ses propres facettes, à chaque fois différentes, à chaque fois magnifiques. Tout comme un être humain, qui ne pouvait pas disposer d'un Don semblable à celui d'un autre, les gemmes étaient seules et possédaient leur propre pouvoir.

Krysos n'avait jamais pensé à tout cela avec autant d'intensité jusqu'à maintenant. Peut-être les sages paroles d'Obsidien, le prêtre de LazuLapi, l'avaient-elle amené à y réfléchir.

Il se roula dans sa couverture à côté de Beryl, et essaya de deviner les pensées de son frère. Il ne voyait qu'un grand flou lumineux, signe qu'aucun cauchemar ne troublait son sommeil. Rassuré, il s'endormit à son tour.

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La Lune était déjà très pâle dans le ciel quand ils se réveillèrent tous enfin. Rassemblant leurs affaires et harnachant leurs lamags, ils se préparèrent à attaquer la montée. Krysos mit sa main en visière au-dessus des ses yeux et scruta les hauteurs, cherchant une percée ; il en repéra une, pas très loin du point où ils se trouvaient, et il invita ses compagnons à prendre cette direction.

Les lamags n'étaient pas seulement robustes, ils étaient aussi très agiles. Leurs pieds dotés de trois doigts s'adaptaient facilement au chemin accidenté, et l'altitude ne semblait ni les effrayer ni les essouffler. Grâce à eux, les aventuriers pensaient bien se retrouver de l'autre côté demain matin au plus tard.

Pendant la montée, ils croisèrent des chats sauvages qui les épiaient de leurs yeux d'or en haut des rochers, mais ceux-ci n'attaquèrent pas, sans doute intimidés par la présence des armes, mises bien en évidence, des hommes du groupe. Les lamags redoublèrent le pas d'eux-mêmes, leur faible intelligence ayant tout de même saisi que c'était après eux que les prédateurs en avaient en premier.

Ils suivaient depuis quelques heures un sentier mal dégrossi, mais manifestement conçu par l'homme. Des pierres posées à côté de la « route » à intervalles réguliers montraient bien que ce chemin était, ou avait été, assez souvent fréquenté. A partir d'une certaine hauteur, les pierres disparurent, mais le chemin continuait. Raide et caillouteux, les lamags durent redoubler de prudence pour trouver les endroits sûrs où poser leurs larges pieds.

Celui d'Amber se retrouva coincé on ne sut comment dans une ornière, et ses amis durent descendre de leurs montures afin d'aider la pauvre bête à se sortir de ce mauvais pas. L'animal boita un peu pendant le reste du voyage, mais heureusement, le col n'était plus très loin. A partir de là, ils n'auraient plus qu'à redescendre.

La nuit arriva et ils mirent pied à terre pour monter le campement. Comme ils l'avaient prévu, ils atteindraient sûrement le pied des montagnes en fin de matinée. Le lamag blessé reçu des soins superficiels mais suffisants : la blessure n'était pas grave. Amber resta à côté de sa monture pour la réconforter, tandis que Krysos et Obsidien cherchaient du bois pour le feu ; la réserve de pierres flambeaux était épuisée et avec elle, les derniers objets qui liaient les deux frères à TigrEye.

Krysos eut quelques scrupules à laisser Beryl seul avec Amber : il espérait que la jeune femme ne profiterait pas de son absence pour lui faire des misères. Mais ils n'eurent pas aller loi, Obsidien tombant assez vite sur un tas de bois mort, qui vraisemblablement avait jadis fait partie d'un chariot.

« Que lui est-il arrivé ? demanda Krysos au jeune prêtre.

- Sans doute des chats sauvages, qui auront attaqué le véhicule. Il n'y a pas d'aya dans ces monts, enfin il me semble. Beaucoup de voyageurs partent à l'assaut de ces montagnes en les sous-estimant grandement. Cela donne ce genre de tragédie… »

Pendant qu'Obsidien parlait, Krysos leva les yeux au ciel. La Lune n'avait jamais été aussi grande qu'ici, dans ces montagnes. Les pics semblaient toucher l'astre de leurs aiguilles acérées. En tournant son regard vers l'est, il distingua dans des brumes épaisses une autre chaîne de montagne, bien plus hautes encore que celle sur laquelle ils se trouvaient. De ces éminence lointaines, une pâle lumière semblait émaner… Obsidien remarqua son regard fixe.

« Ce sont les contreforts des Monts Encerclants, lui apprit-il. Ils se trouvent au centre de Zyrconia. Mais on ne peut pas les atteindre, ils sont infranchissables.

- Pourquoi ? l'interrogea Krysos, intrigué. Y a-t-il des aya ?

- Oh non, du moins s'il y en a, ils seraient un moindre danger comparés aux sortilèges et enchantements qui hantent cet endroit. Les pentes de ces monts sont sacrés, on ne peut les escalader sous peine de devenir fou.

- Il y a une lumière au sommet… non, dans le creux des montagnes…, murmura Krysos.

- Ces monts servent de remparts entre le reste du monde et la cité de LunaPiair. Enfin, c'est-ce qu'on dit ; je ne sais pas si elle existe vraiment…

- LunaPiair ? C'est une cité légendaire, comme les nôtres ?

- Non, pas tout à fait. Celle-ci est encore plus ancienne, elle serait la première de toutes les cités. Elle date d'une époque où les humains avaient le savoir et la puissance des dieux. Une époque tellement ancienne qu'aucun ouvrage n'en parle. Les seules histoires que j'ai entendu à son sujet viennent des Anciens. Mère-Amethys aussi m'en a parlé. On raconte même que celui qui réussirait à monter au sommet de la plus haute tour de la cité pourrait toucher la Lune…

- Toucher la Lune… » répéta Krysos, rêveur.

Les bras chargés de bois, ils revinrent au campement. Amber avait déjà sorti les provisions, elle n'attendait plus que le feu. Les poings sur les hanches, comme à son habitude, elle regarda les deux hommes :

« Vous avez traîné en chemin, pas vrai ? Maigre butin… »

- Elle est toujours comme ça ou bien c'est juste depuis que je suis là ? demanda Obsidien en riant.

- Si tu arrives à faire abstraction de cela, tu remarqueras que c'est une compagne de voyage plutôt agréable », lui répondit Krysos sur le même ton, en se penchant vers lui.

Les hommes posèrent le combustible et bientôt, une jolie flambée s'éleva dans l'air sombre, sur laquelle vinrent griller des saucisses et du lard. Krysos s'installa à côté de son frère, qui, tout comme lui quelques instants auparavant, avait les yeux tournés vers l'est. Il mangea presque distraitement, et pendant toute la soirée, alors qu'Amber avait sortit sa flûte afin de narrer en chantant quelques contes épiques, son attention resta concentrée dans cette direction. Avant d'aller se coucher à ses côtés, Krysos jura même voir ses lèvres bouger, comme si Beryl parlait avec quelqu'un qui se serait trouvé de l'autre côté, sur les contreforts orientaux. Mais bien sûr, aucun son de sortait de la bouche de son frère.

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Leurs regards plongeaient dans la vallée, alors qu'ils descendaient l'autre versant des monts. De là où ils étaient, il pouvaient apercevoir, niché dans une forêt, un petit village qui semblait bien paisible. Le soleil miroitait sur les toits et des silhouettes s'activaient dans les champs alentour. Mais plus près d‘eux, des gorges profondes jetaient leurs racines dans un fleuve tumultueux, au-dessus duquel on avait construit un pont, fin mais haut, monté sur de minces piliers de pierre qui plongeaient dans le fleuve. Des cascades cristallines, venues de rivières proches, coulaient de la falaise en surplomb, alimentant les eaux en contrebas.

« C'est le fleuve Epydoth, l'un des quatre plus grands courants de Zyrconia et le plus au nord, expliqua Amber, fière de montrer ses connaissances. Ce pont est le seul moyen de traverser. De l'autre côté, on pourra atteindre le village de TurtleScale.

- Les habitants sont pacifiques, continua Obisidien. Il faut juste espérer que l'Empire ne soit pas passé pour y semer la mort… »

Arrivés aux pieds des monts, ils descendirent de leurs lamags, pas fâchés de se dégourdir un peu les jambes sur un terrain plus plat. Le contraste entre les deux côtés des monts Lepidolyth était frappant : ils avaient quitté un désert aride pour se retrouver dans une terre verte à l'herbe longue et vivace. Des bosquets d'arbres émergeaient ici et là, et de vastes troupeaux d'herbivores paissaient de l'autre côté du pont. Cette région semblait insoucieuse du danger qui guettait le reste du monde.

Ils arrivèrent aux abords du pont. Le bruit de l'eau plongeant de la falaise était assourdissant, et Amber se boucha les oreilles une bonne partie de la traversée. Conscient de l'indisposition de la jeune femme, Krysos et Beryl ne purent s'empêcher malgré tout de jeter un œil par-dessus le bord de la passerelle ; celle-ci ne comportait pas de parapet, aussi Krysos fit-il attention à ce que son frère ne se penche pas trop. Le cours du fleuve continuait vers le sud-est et semblait disparaître dans les Monts Encerclant. Soudain, pris de vertige, Beryl tomba en arrière dans les bras de son frère : de là où ils se trouvaient, il devait bien y avoir une vingtaine de mètres jusqu'au fond.

De l'autre côté, ils laissèrent un peu brouter leurs lamags, trop heureux de l'abondance de la prairie qu'ils foulaient. L'herbe était grasse et on pouvait presque entendre le vent venu des monts chanter dans ses brindilles. L'air était chargé de senteurs de fleurs, mêlées à celle de la mer, toute proche, délicatement salée.

Sans se presser, appréciant la beauté du paysage, les aventuriers se rapprochaient inexorablement de TurtleScale, le village qu'ils avaient aperçu tantôt. Krysos compris ce qu'il avait vu briller sur les toits au loin : ils étaient recouverts d'ardoises bleu cobalt, qui renvoyaient la lumière du soleil. De loin, cela ressemblait à des écailles de poisson ou de tortue. Amber anticipa sa question :

« Cela s'appelle TurtleScale à cause des tortues qui vivent en grand nombre par ici. Les habitants utilisent les écailles de leurs carapaces pour leurs toits.

- Elles pondent sur les plages de l'ouest et reviennent vivre dans la forêt de Turtle, juste derrière le village, continua Obsidien. Il paraît qu'elles leur servent presque d'animaux domestiques.

- Je n'ai jamais vu de tortue…, hasarda Krysos, un peu gêné d'admettre que tout était nouveau pour lui.

Les deux autres haussèrent les épaules. Beryl agrippa la manche de son frère, impatient lui aussi de voir des tortues.

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Ils attachèrent leurs lamags à l'entrée du village et cherchèrent des yeux une taverne ou une auberge où se restaurer. La vie semblait simple et tranquille ici, les gens allaient et venaient gaiement en échangeant des banalités sur la vie quotidienne. Des enfants couraient dans les ruelles étroites, et des femmes lavaient leur linge en chantant dans la fontaine de la place publique, impeccablement pavée.

Ce village ressemblait à Krysopras par certains côtés, mais la paix qui régnait ici n'avait rien à voir avec l'agitation de la ville du sud. Des petits vieux étaient assis sur des bancs à regarder passer les jeunes gens, à l'ombre des arbres de la forêt de Turtle, dans laquelle le village était à demi enfoui. Une jeune femme arrosait les fleurs de son balcon. Les couleurs autour d'eux étaient vives et aucune ombre de garde impérial ne se profilait dans les rues.

Et surtout, il y avait des tortues. Des tortues un peu partout, qui rêvassaient au soleil, ou qui nageaient dans la fontaine. Leurs carapaces rayonnaient comme les toits des maisons, du même bleu profond. Ils durent presque en enjamber une dizaine avant de se retrouver devant la porte de ce qui semblait être une taverne, blottie dans l'ombre de la forêt.

Un homme était occupé à noter quelque chose sur un tonneau devant le bâtiment. Sûrement le gérant de l'établissement. Obsidien l'interpella :

« Ohlà, mon brave. Nous sommes à la recherche de quelqu'un qui pourrait nous donner des informations sur ce qui se passe au nord. Peut-être pourriez-vous nous renseigner ? »

Le bonhomme, à la face rieuse et aux joues rouges, leur fit un grand sourire et se tapa la bedaine, qu'il avait bien grasse.

« Vous n'êtes pas d'ici, ça se voit ! leur dit-il joyeusement. Ici, on ne s'occupe que très peu de ce qui se passe ailleurs, mais en tant que tavernier je me doit de me tenir au courant de ce genre de chose. Vous pouvez m'appeler Thomson. Eh bien, où vas-tu, toi ? »

Il avait porté son attention sur une tortue qui se traînait à ses pieds, massive et visiblement somnolente. Elle portait de petites cornes sur la tête, et sa queue était longue et fourchue. Quand il voulut s'en saisir pour la ramener à l'intérieur, elle accéléra sans crier gare et, au grand ébahissement des aventuriers, se mit à grimper au tronc d'un arbre.

« Ca alors ! s'écria Amber. Je ne savais pas que les tortues grimpaient aux arbres !

- C'est que ce n'est pas une tortue, jeune fille, lui expliqua Thomson, fièrement. C'est un evast, ça ressemble à une tortue, mais cela n'en est pas une. »

- Un evast ? continua la jeune barde. J'en ai entendu parler. Il paraît que ce sont des aya.

- Les savants n'en sont pas sûrs. Certains disent qu'ils en sont à cause de leurs yeux rouges, mais les autres ne sont pas d'accord, car ça va à l'encontre de toutes les théories qui qualifient les aya de bêtes féroces. En tout cas, ce sont pas des tortues ordinaires, ça c'est sûr. Ils grimpent aux arbres grâce à de toutes petites griffes qu'ils ont sous les pattes. »

Il donna un bâton à Beryl qui attendait sagement en silence derrière lui, et le poussa doucement vers l'arbre, dont l'animal avait atteint les premières branches.

« Allez-y, mon garçon, l'encouragea le tavernier, délogez-moi cette fichue bestiole de là. Il y a des araignées dans la cave dont je voudrais bien qu'elle s'occupe, et je ne suis pas assez grand pour l'atteindre. »

Timide et un peu effrayé, Beryl prit malgré tout son courage à deux mains, et du bout de son bâton, tapa un peu la carapace de l'evast. Celui-ci rentra ses membres dans sa cuirasse, tomba de l'arbre et rebondit sur le sol, où elle resta immobile. Thomson la prit sous son bras et rentra à l'intérieur de son établissement.

« Ils font ça tout le temps quand on les indispose, expliqua-t-il à Beryl qui tenait toujours son bâton, soucieux de savoir s'il avait blessé la bête. Aya ou pas, je n'en sais rien, mais si c'est le cas, ce sont les aya les plus trouillards de la création… »

Et il éclata de rire en les invitant à entrer.

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L'intérieur de la taverne était frais et il y avait peu de clients. On était en plein après-midi et Thomson leur expliqua qu'à cette heure-ci, les villageois faisaient surtout la sieste.

« Qu'est-ce que je vous sers ? leur demanda-t-il alors que les aventuriers s'installaient au comptoir. Vous goûterez bien à notre version maison de la bière de lait de tortue ?

- Pourquoi pas ? C'est fameux ! » décida Amber pour le groupe.

Thomson esquissa alors un geste vers son comptoir et quatre chopes se placèrent d'elles-mêmes sous les robinets d'où jaillirent des flots mousseux. Amber fit à Krysos la confidence qu'un tel Don devait être bien pratique pour un barman.

Beryl tournait et retournait sa bière dans son gobelet pendant que Krysos se penchait sur le tavernier, lui demandant :

« Y a-t-il eu des mouvements de troupes récemment par ici ? Savez-vous si des évènements fâcheux ont eu lieu au nord ?

- Maintenant que vous le dites, il s'en passe de belles ces temps-ci, lui répondit Thomson, presque en chuchotant. Pas dans le village même, nous n'intéressons guère les grands de ce monde. Mais des voyageurs venant du port d'Akroïth et de Bytownyth se sont arrêté ici et ont raconté certaines choses…

- Dites-nous…, s'immisça Obsidien.

- Et bien pour commencer, il y aurait un gigantesque aya marin qui sèmerait la terreur dans les eaux de Bytownyth. Mais ce n'est pas tout : visiblement, des bateaux sont à quai au port et prêts à partir vers le nord. Les gens d'AguaMarina ont du souci à se faire…

- AguaMarina n'accepte pas les étrangers, pourtant, intervint Amber. Les gens du continent le savent. Ils n'espèrent quand même pas un accueil chaleureux ?

- Ah, mais ce sont des bateaux de l'Empire, ma petite dame. Armés jusqu'aux dents, qu'il paraît. Les insulaires auront intérêt à pas piper s'ils veulent pas que ça finisse en bain de sang.

- Ou que ça finisse comme à TigrEye…, murmura Krysos.

- TigrEye ? Vous…

- Qu'importe, le coupa Obsidien. Je crois que c'est vers le nord que nous devrions nous diriger, Krysos. Des choses se passent là-bas, et j'ai bien peur que cela se déroule comme à LazuLapi. »

Krysos coula un regard rapide vers Beryl. Son frère le regardait aussi, et, lui parlant en esprit, il lui demanda pardon pour ce contretemps. Le tavernier avait les yeux grands ouverts, se rendant soudain compte que ses clients n'étaient pas des voyageurs ordinaires.

« Vous avez l'air d'en avoir vu de bonnes, vous quatre, conclut-il en croisant les bras sur son ventre. Allez, vous m'êtes sympathiques, c'est ma tournée !

- Mais nous avons de quoi vous payer !… objecta Krysos, en regardant les autres clients qui les observaient.

- Vous me paierez en me racontant ce qui se passe dans ce fichu monde qui perd la tête ! J'aurai de quoi dire aux clients suivants. Enfin, une fois que j'aurai réveillé ce stupide evast, et qu'il aura commencé à me nettoyer cette cave de sa vermine ! »

L'evast sorti une tête timide de sa carapace, et jeta un coup d'œil circonspect autour de lui, comme s‘il avait compris que son maître parlait de lui. Le groupe se mit à rire de bon cœur.
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