[Rae] FFVIII : Le feu et la glace
Publié : 06 avr. 2004 10:00
LE FEU ET LA GLACE
Musique
CHAPITRE I
Ma tête…
Un élancement me réveille comme en sursaut et j'ouvre lentement les yeux. Je suis seule, debout dans le noir. Je ne vois rien. Je n'entends qu'un bourdonnement, un bourdonnement sourd, qui semble m'entourer de toutes parts, résonnant dans l'immensité du néant qui m'entoure, sans que je puisse en trouver l'origine…Où suis-je? Je n'arrive pas à faire le moindre mouvement, comme si chacune de mes membres pesait des tonnes… Ou comme si le noir qui m'entoure, m'oppresse, était tellement dense que la pression m'empêchait de bouger. Au pris d'un immense effort sur moi-même, je parviens à faire quelques pas, avant de m'arrêter, épuisée, essoufflée. Mais c'est comme si rien n'avait changé. Je ne vois toujours rien autour de moi. Je ne distingue même pas le sol sous mes pieds. Il n'y a rien. Juste cette impression de tomber…
Toujours tomber…
Dans un trou sans fond, si noir, si sombre. Si froid.
Et ma tête… Elle va exploser…
J'ai si mal…
Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à bouger? À arrêter cette chute, à m'accrocher quelque part? Comme si j'étais complètement vide...
Vide de volonté.
De force.
Après tout... Pourquoi ne pas refermer les yeux, et rester là... pourquoi ne pas se laisser entrainer par cette torpeur qui me porte lentement, pourquoi résister?
Le bourdonnement ne s'apaise qu'au bout de quelques minutes. Ou peut-être quelques heures, je ne sais pas... Le temps… Le temps passe-t-il réellement ?
Un vertige me prend, devant tout le néant auquel je fais face, et j'ai de nouveau peur de tomber. Que se passera-t-il quand je heurterai le sol ? Et qu'y trouverai-je ? Soudain, toute cette obscurité semble légèrement s'éclaircir. Je parviens à retrouver l'équilibre, et les battements de mon coeur affolé se calment.
Le bourdonnement a cessé petit à petit, lentement, mais s'est mué en voix. Des voix qui envahissent ma tête, sans que mon esprit confus parvienne encore à tout à fait en saisir le sens.
- ... s'est passé ?
- Kern, espèce d'idiot, qu'est-ce que t'as encore fait?
- Je… je sais pas… je comprends pas, c'est…
- Regardez, elle a bougé !
Les ténèbres se dissipent peu à peu, et je me rends compte que mes yeux sont à nouveau fermés. Ou avais-je réellement réussi à les ouvrir, plus tôt? Je n'aurais jamais pensé que ce geste, si machinal et automatique pourrait être aussi épuisant. Mais à cet instant, il me demande un effort surhumain. La lumière m'aveugle tout d'abord, l'obscurité cèdant brutalement, et je cligne plusieurs fois des yeux avant de pouvoir m'habituer. Au bout de quelques minutes, la lumière diminue d'intensité, et je distingue de vagues formes noires qui s'agitent devant moi.
- Eva! Est-ce que ça va ? Eva ?
Qu'est-ce que c'est que ces ombres ? Elles ne cessent de bouger, de changer de forme, tels des nuages de fumée noire. Depuis quand est-ce que les fantômes sont noirs ? Mais ce ne sont pas des fantômes. Des ombres… Elles rétrécissent et se muent peu à peu en visages, encore flous, que je ne parviens pas à voir clairement, ni à reconnaître.
- Eva ! Réponds-moi ! Comment est-ce que tu te sens ?
Est-ce que c'est à moi qu'on parle ? Je vois un des visages se rapprocher, et je le fixe un instant, hagarde.
- Eva ?
Puis tout d'un coup, tout s‘éclaire, tout devient net. Je me réveille dans un sursaut, et un gémissement m'échappe, en même temps qu'une grimace de douleur. Je me rends compte que je suis allongée, car je sens le sol pierreux contre mon dos et je peux reconnaître le plafond vitré de la serre de combat. Au-dessus de moi, des visages inquiets…
- Casey… je murmure avec difficulté en reconnaissant le visage le plus proche.
Ses traits se détendent sous le soulagement, et il a un sourire un peu crispé.
- Tu nous as fait une de ces peurs! Comment est-ce que tu te sens?
- J'ai mal… et je suis complètement dans les vapes… Qu'est-ce qui s'est passé?
Je me souviens juste que nous étions en entraînement dans la serre de combat avec ma classe. Je me suis éloignée un instant en reconnaissance en demandant à mon groupe d'attendre mon signal avant de me rejoindre. Puis plus rien.
- Kern t'a confondue avec un T-Rex, fait un spirituel, que je n'aperçois pas.
- Quoi ?
- Je-je suis désolé, bafouille le dénommé Kern en s'avançant, confus, la tête basse. Je savais pas que c'était toi… qu-quand j'ai vu les buissons bouger, j'ai cru qu-qu'un T-Rex arrivait, et j'ai préféré ti-tirer avant qu'il nous tombe dessus, mais... je...
- Pourquoi est-ce que ça ne m'étonne pas… je marmonne en me passant la main sur le front.
Je me suis toujours dit qu'il finirait par me tuer, avec sa maladresse, mieux que n'importe lequel des soldats les plus expérimentés. Je soupire et je m’ appuie sur mes coudes pour me lever, sans succès. Quelle chaleur…
- Tu ne devrais pas bouger, me gronde gentiment Casey. Méryl est allée chercher le docteur, ils ne devraient plus tarder. Enfin, je vais quand même voir ce qu'ils fabriquent, ajoute-t-il en regardant nerveusement sa montre. Ils en mettent, un temps… Ne bouge pas, surtout.
Il se lève et sort en courant.
Méryl ? Quel est le demeuré qui a chargé Méryl d'aller chercher du secours? La connaissant, elle est probablement effondrée quelque part entre l'infirmerie et la serre de combat – autrement dit, elle peut être n'importe où, en proie à une de ces crises d'hystérie qui surviennent immanquablement à ces moments où on a besoin d'elle et qui lui ont probablement fait oublier jusqu'à son propre nom. J'ai le temps de mourir de vieillesse avant qu'elle ne parvienne à se ressaisir et n'aille chercher le docteur. Aussitôt Casey éclispé, Kern s'approche et me tombe presque dessus en s'agenouillant à côté de moi.
- Il a raison, vaut mieux que tu restes allongée. Reste calme, me sort Kern, qui lutte visiblement contre sa propre panique. Elle est tombée sur la tête, elle a peut-être des séquelles, dit-il en se tournant vers les autres, histoire de les affoler un peu plus. Après tout, elle a oublié ce qui s'est passé. Est-ce que tu me reconnais, Eva ?
Il se penche sur moi, les sourcils froncés, son regard bleu délavé planté dans le mien ; je ne l'ai jamais vu aussi sérieux, l'air très inquiet et plus idiot que jamais. Je crois volontiers qu'il regrette profondément ce qu'il a fait, mais ce ne serait pas la première fois, et ça ne l'empêchera pas de recommencer ses bêtises.
- Comment veux-tu que j'oublie une andouille pareille ? je grogne en repoussant sa tête du bras. Pousse-toi, tu m'empêches de respirer.
Il n'a pas l'air de relever la remarque - il en vu d'autres - et continue, sur le même ton :
- Combien est-ce que tu vois de doigts ?
Mais il déraille complètement…
- Douze. Aide-moi à me lever au lieu de dire des âneries.
Il me donne le bras pour m'aider, et sitôt sur mes pieds, je suis de nouveau prise d'un vertige, m'obligeant à m'agripper plus fermement à son bras. Casey arrive à ce moment, essoufflé, et reprend sa place près de moi en repoussant Kern d'un regard noir. Suivent de près Méryl et le Docteur Ivackas, qui stoppe net en me voyant sur mes jambes et me regarde avec de gros yeux.
- Qu'est-ce que tu fais debout, toi ? aboie-t-il. Rallonge-toi immédiatement ! Je croyais que tu étais blessée!
- Mais ça va mieux, je proteste faiblement alors que je sens à nouveau la serre tourner autour de moi.
- C'est ce que je vois, fulmine-t-il en me voyant chanceler. Allonge-toi, je te dis! Tout de suite!
A contrecœur, je m'exécute, sous les échanges de regards perplexes de mes camarades de classe. De toute façon, je ne sais pas combien de temps j'aurais tenu avant de m'effondrer de nouveau. Une première pour moi. Alors autant laisser tout le monde penser que c'est uniquement parce qu'il me l'a ordonné que je me rallonge. Le docteur s'accroupit à côté de moi et déballe ses affaires en hâte.
- Et maintenant, est-ce que quelqu'un peut me dire ce qui s'est passé, ici ?
Je tourne la tête vers Méryl, secouée par les sanglots et le visage inondé de larmes. Je vois que je ne m'étais pas trompée. Merci Méryl. C'est Casey, qui s'est assis à côté de moi face au médecin, ma main dans la sienne, qui répond :
- Elle a reçu une fléchette de AV-392 par erreur.
Le coupable, qui se reconnaît, se fait tout petit. Je ne vois pas Kern à ce moment, mais j'imagine très bien la tête qu'il doit faire. Casey ne le dénoncera pas, ce n'est pas son genre. Pourtant, je sais, et je vois à sa mâchoire contractée qu'il en meure d'envie tellement il est hors de lui.
L'AV-392 est une substance découverte récemment, qu'on utilise lors des entraînements. Une sorte d'anesthésiant, contenu dans des fléchettes, que nous tirons au fusil sur les monstres de la serre pour nous entraîner. Ca les endort un moment, mais ça ne les tue pas. Encore heureux. Sinon, je veux pas imaginer ce qui se serait passé pour moi.
- Quelle dose ? grogne Ivackas en préparant l'antidote.
- Euh... La D-12…
Ivackas manque de lâcher sa seringue et se redresse vivement.
- La D-12 ? C'est une blague !
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? je demande en me redressant sur mes coudes.
- Toi, rallonge-toi immédiatement et ne bouge surtout plus, m'ordonne-t-il alors, d'un air étrange.
Et pendant un instant, on croirait presque qu'il panique. La première fois que je le vois comme ça. Mais c'est qu'il commence à me faire peur, aussi !
- Ce qu'il y a ? hurle-t-il presque. Il y a que c'est la dose pour T-Rex ! Bon sang, Eva, ce que tu as reçu suffit à assommer un T-Rex pendant une heure ! Je vous avais bien prévenus d'être prudents avec ce truc !
- Je le sais, merci. Mais ça va, dis-je. Je me sens plutôt bien…
- Et c'est justement ça qui n'est pas normal !
- Dis tout de suite que tu aurais préféré que j'y reste !
- Tu n'as pas l'air de réaliser, dit-il, sérieusement. Avec ce que t'as reçu, et vu ton gabarit, tu aurais dû dormir jusqu'à la semaine prochaine, dans le meilleur des cas !
- Dans le meilleur des cas ? demande Casey en déglutissant péniblement, sa main se crispant sur la mienne. Ça aurait pu être quoi d'autre?
- Au choix : arrêt cardiaque, coma… Mais certainement pas un réveil au bout de quelques minutes. Ce truc est vraiment très puissant, vous devriez le savoir, depuis le temps. Où est-ce qu'elle a été touchée ?
- A la jambe , répond Casey. La jambe droite.
Maintenant je comprends pourquoi j'avais du mal à tenir debout. Ivackas examine ma jambe, les sourcils froncés et en ressort la fléchette, qui pour la première fois que je la vois me donne des frissons.
- Tu as de la chance que ça n'ait pas été plus près du cœur, murmure-t-il. Mais avec une telle dose, je doute que ça ait pu changer quoi que ce soit que ça ait été la jambe. Je ne comprends pas …
Il range la flèche dans un sachet puis il se tourne vers moi, l'air perplexe.
- Ce n'est pas possible que tu aies survécu à l'AV-392, pas avec cette dose. La flèche devait être défectueuse.
- C'est impossible, proteste alors Casey. C'est moi qui ai tout préparé : les flèches, les fusils, et j'ai tout vérifié trois fois, comme d'habitude.
Casey est un véritable parano en ce qui concerne le matériel utilisé. Là-dessus, on peut lui faire entièrement confiance. Si quelque chose avait cloché, s'il y avait eu même le plus petit défaut, il l'aurait remarqué. Il est tellement perfectionniste que ça en devient agaçant parfois quand on ne possède pas sa patience d'ange. Ce n'est pas pour rien qu'il a été désigné pour cette tache.
- Quelqu'un est peut-être entré pour toucher au matériel après que tu l'aies fait; et il a abîmé cette fléchette et peut-être quelques autres...
- Je te répète que non, fait Casey, en prenant un air encore plus vexé. Je reste avec le matériel jusqu'à ce qu'on commence l'entraînement, le professeur l'inspecte une dernière fois, et c'est moi qui le distribue au élèves. A chaque fois. Et on a jamais eu ce genre de problème.
- Vraiment bizarre, murmure le docteur. En tout cas, toi, tu vas aller faire un tour à l'infirmerie, dit-il en se tournant vers moi, son regard foudroyant me défiant de protester. Il va falloir que je fasse des examens.
- Mais ça va mieux ! Je vais me reposer un peu et je serai de nouveau en pleine forme !
Peine perdue. Il secoue la tête tout en remballant ses affaires.
- Je m'en fiche. On ne sait jamais, l'anesthésiant peut agir plus tard. Il vaut mieux que je t'aie sous les yeux si ça arrive.
Il n'y croit pas trop, ça se voit, mais il veut découvrir ce qui s'est passé.
Il ne manquait plus que ça. On a un examen demain, et le compte rendu de l'entraînement d'aujourd'hui à faire à Quistis. Et comme c'était moi le chef du groupe, c'est moi qui suis censée le préparer. Elle va tuer Kern en apprenant ce qui s'est passé, plus sûrement que n'importe quelle flèche de D-12. Mais il a l'habitude, je crois, et ce sera son immunisation à lui. Comme je ne peux pas marcher, Casey et le docteur me portent jusqu'à l'infirmerie et m'installent dans la chambre. Casey promet de repasser et de prévenir mes parents, ce dont je me passerais bien. Ils vont être furieux. J'imagine déjà la scène. Kern, qui nous avait accompagnés en portant mon équipement, s'avance alors.
- Est-ce que je peux faire quelque chose ? demande-t-il de l'air le plus pitoyable que je lui aie jamais vu.
Ca le rend malade de se dire que c'est de sa faute ce qui se passe; je crois qu'il a toujours été un peu amoureux de moi, allez savoir pourquoi… N'empêche, c'est toujours sur moi que retombent ses bêtises, ce qui ne l'aide pas vraiment à trouver grâce à mes yeux, il s'en rend compte… Et il sait aussi que demain il va en prendre pour son grade. J'ai presque pitié de lui.
- Oui : rester le plus loin possible d'elle, fait durement Ivackas, qui a parfaitement deviné qui était le coupable.
Pendant un moment, je me dis qu'il y va un peu fort. Mais en même temps… Il faut dire que sept fois sur dix c'est Kern qui m'envoie à l'infirmerie, quand même… L'air misérable, Kern sors de l'infirmerie, la tête basse.
Ivackas s'affaire autour de mon lit d'infirmerie, il vérifie que j'ai tout ce qu'il me faut pour la nuit.
- Si ça continue, je vais créer toute une suite pour toi, me dit-il, une fois que je suis installée. Tu es quand même une de mes plus fidèles patientes.
- Bonne idée. Je pourrais toujours transférer ma chambre ici, je gagnerais du temps.
- Sérieusement, Eva, il va falloir que tu fasses un peu plus attention. Entre les fois où tu te blesses toi-même pendant les entraînements et celles où ce sont tes coéquipiers qui le font, un jour il va t'arriver quelque chose de vraiment grave. En plus, tu monopolises mon infirmerie, finit-il sur un ton bougon.
- Désolée. La prochaine fois j'apporterai mon lit avec moi, pour laisser de la place aux autres.
- Je préfèrerais que tu n'aies pas à revenir, en fait. Allez, je te laisse pour l'instant, il faut que j'aille voir Quistis. Et tu te reposes. C'est un ordre. On commencera les analyses un peu plus tard. Au fait, il y a un autre malade juste à côté qui va lui aussi passer la nuit ici. Alors si tu entends du bruit, ne t'inquiète pas. C'est mon deuxième plus fidèle patient. Presque aussi catastrophique que toi.
Alors là, j'aimerais bien savoir qui c'est. Une autre victime de Kern ?
- Je repasse te voir demain à la première heure.
Et il s'en va.
Ivackas est un chouette type. Il est jeune pour un docteur, il a 20 ans - seulement 4 ans de plus que moi, après tout... Assez grand, cheveux et yeux noirs, la peau mate, il a un certain succès auprès de la gente féminine de la BGU ; succès dont il se garde bien de profiter en tant que membre de la communauté éducative. Il s'acharne même à réduire à néant sans la moindre pitié les espoirs des petites étudiantes qui font le pied de grue devant son infirmerie et ne se découragent pas pour autant. Il n'a pas grandit à Balamb, d'après ce que je sais, il n'est même pas de ce continent. Personne n'en sais trop rien, il n'est pas vraiment bavard et a tendance à se planquer dans son infirmerie. Mais mon père doit le savoir, lui. Après tout, c'est lui qui dirige la BGU.
Ivackas - parce qu'il veut autant que possible que nous évitions de l'appeler docteur - prend un air sévère et bougon, comme ça, mais c'est juste parce qu'il s'inquiète. Une vraie mère poule. Tout le temps à nous donner des conseils, à nous dire de faire plus attention en essayant de prendre un expression sévère et une voix autoritaire. Pire que mon père, et ce n'est pas peu dire. Mais comment espère-t-il que des soldats arrivent à ne jamais se blesser ?
Ivackas remplace le docteur Kadowaki qui travaillait ici jusqu'à l'année dernière. Son but, comme il le dit lui-même, c'est d'avoir le moins de boulot possible. Il aimerait ne pas avoir à soigner les gens. Il déteste tout ce qui est violence, combats. Mais il dit que si tout le monde est assez bête pour vouloir passer sa vie à se faire taper dessus, très bien, il est pas contrariant ; lui, il s'acharnera à soigner le monde pour lui permettre de se faire taper dessus le plus longtemps possible… Textuel.
Depuis 10 ans que je viens régulièrement ici, rien n'a changé. Même la peinture sur les murs est toujours la même. Je suis quasiment plus souvent ici que dans ma propre chambre au dortoir. Comme si c'était de ma faute. Je dois la plupart de mes visites ici à Kern. La première fois, ça a été le lendemain de son arrivée à la BGU. Une de ces nouvelles armes fonctionnant sur le même principe que le boomerang qui a légèrement dévié de sa trajectoire et est venu heurter ma jambe. Un plâtre pendant deux mois. S'il n'est pas doué pour viser, ce n'est pas la force qui lui manque. En tout cas, c'est comme ça qu'on a fait connaissance. Inutile de dire que de mon côté, je n'étais pas tellement ravie.
La porte de l'infirmerie s'ouvre doucement. Quelqu'un entre et se dirige vers mon lit. C'est Bess. Elle tique un peu en me voyant avec ces bandages sur ma tête et sur ma jambe, mais elle s'efforce de sourire. Elle a beau avoir l'habitude de me voir dans cet état, ça lui fait toujours un choc.
- Eva ! s'écrit-elle. Comment est-ce que tu te sens ?
- Ca peut aller. Un peu étourdie, c'est tout.
Elle rit et s'assied sur le lit près de moi. Bess rit tout le temps, et c'est un véritable réconfort de la voir. Elle et Casey sont mes meilleurs amis. C'est une fille studieuse, rieuse et très jolie, avec ses longs cheveux blonds bouclés et ses grands yeux verts. Nous avons le même âge et nous partageons la même chambre au dortoir depuis que nous avons huit ans.
- Désolée, lui dis-je malicieusement, le docteur vient de partir. C'est bête, tu es venue pour rien…
Bess s'est découvert il y a un an un intérêt très vif pour la médecine. Elle qui prétendait depuis toute petite qu'elle deviendrait la plus grande Seed, elle a changé d'avis : elle sera le plus grand de tous les médecins…Elle n'a jamais voulu l'admettre, mais je soupçonne le docteur Ivackas d'y être pour quelque chose, bien qu'à son insu. Et depuis un an, elle tombe souvent malade, ou se blesse régulièrement au cours des entraînements. J'ai presque cru qu'elle allait me faire concurrence dans ce domaine. Sinon, le reste du temps elle passe à l'infirmerie pour discuter avec le docteur. Uniquement de médecine , me jure-t-elle à chaque fois, et je la crois. Elle est trop timide pour lui avouer ses sentiments, elle refuse déjà de se les avouer à elle-même. Et il faut dire qu'elle est l'une des rares élèves qu'Ivackas ne fuit pas comme la peste en dehors des moments où il a à les soigner. En tout cas, il faut reconnaître que Bess s'y connaît maintenant énormément en médecine, et c'est souvent elle qui me soigne quand je n'ai pas envie de prévenir Ivackas. Et elle est très douée, elle fera un médecin formidable, j'en suis sûre.
Bess rougit.
- Arrête de dire des bêtises, tu sais bien que c'est toi que je suis venue voir. En tout cas, je constate que tu es assez en forme pour m'embêter avec ça.
Elle me tire la langue et éclate de rire.
- Et tes parents ? Ils sont au courant ?
C'est à mon tour de grimacer.
- Non, mais ça ne devrait pas tarder. Ils sont en visite à la fac de Trabia. Casey va les contacter, je crois.
- Il faut bien qu'ils le sachent. Allez, un peu de courage , me dit-elle en me tapotant la main. De toute façon, ce n'est pas comme si tu l'avais fait exprès.
Elle ne comprend pas. Mes parents cherchent la moindre excuse pour m'empêcher de devenir Seed. Et ces accidents qui m'arrivent parfois ( comme cela pourrait arriver à tout le monde – ou presque ) sont les meilleurs qu'ils puissent trouver. "Non, c'est trop dangereux, il pourrait t'arriver quelque chose... Je n'ai pas envie de passer mon temps à attendre, morte d'inquiétude, si ma fille est toujours en vie ... Tu ne sais pas ce que c'est, c'est très dur d'être Seed... C'est un engagement à vie… et patati et patata". Quand ces deux-là s'y mettent ils arriveraient presque à me trouver une bonne raison pour m'empêcher de respirer...
Ok, c'est vrai que je prends pas mal de risques ; mais par rapport à ce qu'ils ont vécu, eux, j'ai comme si je passais ma vie à faire la sieste. Ce ne sont que des entrainements, après tout. Mais je veux plus. Tellement plus. Ce que je veux, c'est... Faire quelque chose d'utile, voyager et voir le monde, aider les gens, les protéger. Je n'ai jamais compris pourquoi ils agissaient comme ça, à toujours essayer de me freiner. Papa a été un grand Seed, et il dirige maintenant la BGU. Il est célèbre dans le monde entier, un véritable héros ; tout comme Quistis, Zell, Selphie, et certains des autres professeurs que nous avons ici. Pourquoi vouloir m'empêcher de faire mes preuves ? Qu'est-ce qu'on peut bien attendre de la fille du plus grand Seed que le monde ait connu, si ce n'est de s'en montrer un minimum digne, d'être au moins aussi exceptionnel ? Alors oui, je ferai tout pour devenir Seed. Tout.
Bess reste discuter avec moi jusqu'à l'heure du couvre-feu, puis s'éclipse pour retourner au dortoir. En effet il fait déjà nuit, mais je n'arrive pas à dormir. Il y a toujours cette douleur à l'arrière de la tête qui m'empêche de fermer l'œil.
Un bruit sans de la pièce d'à côté attire mon attention. Ce doit être cet autre malade dont m'a parlé Ivackas. J'entends des bruits de draps froissés et un grincement de matelas. La personne là-bas doit se retourner dans son lit de douleur. Il faudrait peut-être que j'aille voir ? Mmmh... C'est peut-être pas une très bonne idée. Je ne suis pas infirmière, et il y a plus de probabilités que j'achève le malade plutôt que je ne parvienne à l'aider. L'autre à côté se met à tousser violemment. Tant pis, je vais quand même voir, ne serait-ce qu'au cas où il faudrait appeler Ivackas. Je me lève doucement et vais dans la chambre d'à côté en boitillant. Je frappe doucement à la porte, puis passe ma tête par l'entrebâillement.
- Est-ce que tout va bien ? je demande en essayant de repérer la personne sur le lit.
J'entends un bruit de tâtonnement, et la lumière s'allume.
Oh non.
Pas lui…
- Tiens, tiens… fait le garçon allongé sur le lit avec de multiples bandages et visiblement pas très en forme - ce qui ne l'empêche pas d'arborer ce sourire en coin que je déteste tant. Eva Leonhart…
Ça y est, mon mal de tête me reprend. La poignée de la porte m'échappe et la porte s'ouvre en grand.
- Tiens, tiens… Etan Almasy ! Je m'exclame sur le même ton, avec mon sourire le plus faux. La dernière personne au monde que j'ai bien envie de voir !
- Moi aussi, je suis ravi de te revoir ; désolé si je ne me lève pas pour t'accueillir, mais si j'en étais capable, je n'aurais rien à faire ici. Cela dit, c’ est gentil d'être passée me voir, ça faisait longtemps.
- Pas assez. Alors, dis-je en contemplant les bandages qu'il a sur la tête. Est-ce qu'on t'a enfin greffé un cerveau ?
- Non, j'imagine qu'ils ont estimé que celui-là était encore en état.
- Ah bon ? Parce que tu en avais déjà un ?
Il a un accès de toux qui lui coupe un moment la parole, mais il se reprend vite.
- J'espère que je ne t'ai pas trop manqué. Ca fait longtemps que je suis parti, je sais. Allez, je vois bien que tu es curieuse ; vas-y, demande-moi ce que tu veux : combien de villes j'ai visité… Pourquoi est-ce que je suis dans cet état…
- Je m'en moque complètement.
Il attrape plusieurs boites sur la table de nuit, les dispose sur le lit et en retire des cachets. Je le regarde faire, les bras croisés, en espérant qu'il s'étouffe avec.
- Pourquoi je suis parti… Combien de personnes est-ce que j'ai battues… Pourquoi… continue-t-il, comme s'il ne m'avait pas entendue.
- Pourquoi est-ce que tu n'es pas resté où tu étais ? je demande, agacée.
- Eh bien, je …
- Laisse tomber, je n'en ai rien à faire.
- Tu ne t'es vraiment pas améliorée question politesse. Tu pourrais au moins me demander si j'ai besoin de quelque chose.
- Est-ce que tu veux que je t'achève ? Je propose alors avec une sincère bonne foi.
C'est bien la seule chose que j'accepterai de faire pour lui. Je ressors en claquant la porte de toutes mes forces et je retourne dans mon lit en pestant. Puisse-t-il mourir de ses blessures dans la nuit ! Mais c'est connu, ce sont toujours les parasites qui survivent le mieux. Le type qui lui a fait ça mérite une médaille. Si je ne risquais pas des ennuis, ce serait avec joie que j'aurais fait la même chose. Mais notre dernière bagarre m'a laissé un cuisant souvenir : une gifle de mon père, la première que j'aie jamais reçue de lui, et j'ai eu l'impression d'être clouée sur place. Mais ce n'était encore rien à côté du regard glacial qu'il m'a lancé à ce moment-là.
Parfait, je suis sûre de ne plus réussir à m'endormir, maintenant. A travers la cloison, je l'entends tousser bruyamment, à plusieurs reprises. Je parie qu'il le fait exprès pour m'énerver. Ivackas va m'entendre, demain. Il le sait bien que je ne peux pas supporter Etan. Tout le monde le sait. C'est Etan Almasy, bon sang ! Le fils de ce traître de Seifer, qui a tellement fait souffrir le monde entier ! Tout le monde déteste Etan, d'ailleurs. Je ne connais personne à la BGU qui puisse supporter ce garçon. Mais s'il y a une chose qui a estomaqué tout le monde il y a quelques années - j'étais toute petite à l'époque mais on m'en a parlé, évidemment - ça a été que mon père l'accepte à la BGU. Ils ont tous cru qu'il avait perdu la tête, et franchement, je me demande aussi ce qui a bien pu lui prendre. En tout cas, tout le monde évite Etan comme la peste ici, et pour autant que je me souvienne, on s'est toujours détestés, lui et moi. Mais ça devait être écrit. C'était comme ça avant même que nous ne naissions. Son père et le mien étaient ennemis. Ce sera la même chose pour nous. Logique. À quoi d'autre s'attendre?
Mais s'il y a une chose que je comprends encore moins, c'est que Papa semble l'apprécier. Comment est-ce que c'est possible ? Il lui confie même des missions dans le monde entier alors qu'il n'est même pas encore Seed - puisqu'il a le même age que moi - et ils discutent souvent tous les deux alors qu'en tant que directeur, il ne peut pas réellement se permettre de passer du temps avec n'importe quel élève. Ce qu'il ne fait d'ailleurs avec aucun autre. Incompréhensible.
Bien sûr que ça m'a fait mal. C'est moi qui devrais avoir droit à tout ça. Papa sait que ce que je veux le plus au monde, c'est être Seed. Moi, ce que je crois, c'est qu'il aurait préféré avoir un garçon. Le truc classique. Mais pas de bol, il n'a que deux filles, Léna et moi. Alors c'est Etan qu'il va aider. Mais est-ce qu'il se rend compte de ce qu'il fait ? Aider le fils de Seifer ! Et ils se ressemblent tellement. Mêmes cheveux blonds, mêmes yeux gris. Un peu plus élancé peut-être. Mais il ne manquerait plus que la panoplie veste grise-cicatrice, et on s'y croirait. Je sais que parfois, ma mère a un mouvement de recul quand elle l'aperçoit quand elle ne s'y attend pas, même si elle se reprend très vite et sourit. Mais on voit bien pendant ces quelques centièmes de secondes des images défiler dans ses yeux, comme des souvenirs qu'elle cache…
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Commentaire de l'auteur
Concernant la correction, il y a juste quelques légères modifications, des reformulations de phrases, quelques détails en plus, rien de déterminant.
J'ai rajouté une illustration que j'ai faite il y a quelque temps. On voit Eva, bien entendu ^^. Et ce que je considère comme la musique d'ambience du chapitre on va dire :p Voila voila !
Musique
CHAPITRE I
Ma tête…
Un élancement me réveille comme en sursaut et j'ouvre lentement les yeux. Je suis seule, debout dans le noir. Je ne vois rien. Je n'entends qu'un bourdonnement, un bourdonnement sourd, qui semble m'entourer de toutes parts, résonnant dans l'immensité du néant qui m'entoure, sans que je puisse en trouver l'origine…Où suis-je? Je n'arrive pas à faire le moindre mouvement, comme si chacune de mes membres pesait des tonnes… Ou comme si le noir qui m'entoure, m'oppresse, était tellement dense que la pression m'empêchait de bouger. Au pris d'un immense effort sur moi-même, je parviens à faire quelques pas, avant de m'arrêter, épuisée, essoufflée. Mais c'est comme si rien n'avait changé. Je ne vois toujours rien autour de moi. Je ne distingue même pas le sol sous mes pieds. Il n'y a rien. Juste cette impression de tomber…
Toujours tomber…
Dans un trou sans fond, si noir, si sombre. Si froid.
Et ma tête… Elle va exploser…
J'ai si mal…
Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à bouger? À arrêter cette chute, à m'accrocher quelque part? Comme si j'étais complètement vide...
Vide de volonté.
De force.
Après tout... Pourquoi ne pas refermer les yeux, et rester là... pourquoi ne pas se laisser entrainer par cette torpeur qui me porte lentement, pourquoi résister?
Le bourdonnement ne s'apaise qu'au bout de quelques minutes. Ou peut-être quelques heures, je ne sais pas... Le temps… Le temps passe-t-il réellement ?
Un vertige me prend, devant tout le néant auquel je fais face, et j'ai de nouveau peur de tomber. Que se passera-t-il quand je heurterai le sol ? Et qu'y trouverai-je ? Soudain, toute cette obscurité semble légèrement s'éclaircir. Je parviens à retrouver l'équilibre, et les battements de mon coeur affolé se calment.
Le bourdonnement a cessé petit à petit, lentement, mais s'est mué en voix. Des voix qui envahissent ma tête, sans que mon esprit confus parvienne encore à tout à fait en saisir le sens.
- ... s'est passé ?
- Kern, espèce d'idiot, qu'est-ce que t'as encore fait?
- Je… je sais pas… je comprends pas, c'est…
- Regardez, elle a bougé !
Les ténèbres se dissipent peu à peu, et je me rends compte que mes yeux sont à nouveau fermés. Ou avais-je réellement réussi à les ouvrir, plus tôt? Je n'aurais jamais pensé que ce geste, si machinal et automatique pourrait être aussi épuisant. Mais à cet instant, il me demande un effort surhumain. La lumière m'aveugle tout d'abord, l'obscurité cèdant brutalement, et je cligne plusieurs fois des yeux avant de pouvoir m'habituer. Au bout de quelques minutes, la lumière diminue d'intensité, et je distingue de vagues formes noires qui s'agitent devant moi.
- Eva! Est-ce que ça va ? Eva ?
Qu'est-ce que c'est que ces ombres ? Elles ne cessent de bouger, de changer de forme, tels des nuages de fumée noire. Depuis quand est-ce que les fantômes sont noirs ? Mais ce ne sont pas des fantômes. Des ombres… Elles rétrécissent et se muent peu à peu en visages, encore flous, que je ne parviens pas à voir clairement, ni à reconnaître.
- Eva ! Réponds-moi ! Comment est-ce que tu te sens ?
Est-ce que c'est à moi qu'on parle ? Je vois un des visages se rapprocher, et je le fixe un instant, hagarde.
- Eva ?
Puis tout d'un coup, tout s‘éclaire, tout devient net. Je me réveille dans un sursaut, et un gémissement m'échappe, en même temps qu'une grimace de douleur. Je me rends compte que je suis allongée, car je sens le sol pierreux contre mon dos et je peux reconnaître le plafond vitré de la serre de combat. Au-dessus de moi, des visages inquiets…
- Casey… je murmure avec difficulté en reconnaissant le visage le plus proche.
Ses traits se détendent sous le soulagement, et il a un sourire un peu crispé.
- Tu nous as fait une de ces peurs! Comment est-ce que tu te sens?
- J'ai mal… et je suis complètement dans les vapes… Qu'est-ce qui s'est passé?
Je me souviens juste que nous étions en entraînement dans la serre de combat avec ma classe. Je me suis éloignée un instant en reconnaissance en demandant à mon groupe d'attendre mon signal avant de me rejoindre. Puis plus rien.
- Kern t'a confondue avec un T-Rex, fait un spirituel, que je n'aperçois pas.
- Quoi ?
- Je-je suis désolé, bafouille le dénommé Kern en s'avançant, confus, la tête basse. Je savais pas que c'était toi… qu-quand j'ai vu les buissons bouger, j'ai cru qu-qu'un T-Rex arrivait, et j'ai préféré ti-tirer avant qu'il nous tombe dessus, mais... je...
- Pourquoi est-ce que ça ne m'étonne pas… je marmonne en me passant la main sur le front.
Je me suis toujours dit qu'il finirait par me tuer, avec sa maladresse, mieux que n'importe lequel des soldats les plus expérimentés. Je soupire et je m’ appuie sur mes coudes pour me lever, sans succès. Quelle chaleur…
- Tu ne devrais pas bouger, me gronde gentiment Casey. Méryl est allée chercher le docteur, ils ne devraient plus tarder. Enfin, je vais quand même voir ce qu'ils fabriquent, ajoute-t-il en regardant nerveusement sa montre. Ils en mettent, un temps… Ne bouge pas, surtout.
Il se lève et sort en courant.
Méryl ? Quel est le demeuré qui a chargé Méryl d'aller chercher du secours? La connaissant, elle est probablement effondrée quelque part entre l'infirmerie et la serre de combat – autrement dit, elle peut être n'importe où, en proie à une de ces crises d'hystérie qui surviennent immanquablement à ces moments où on a besoin d'elle et qui lui ont probablement fait oublier jusqu'à son propre nom. J'ai le temps de mourir de vieillesse avant qu'elle ne parvienne à se ressaisir et n'aille chercher le docteur. Aussitôt Casey éclispé, Kern s'approche et me tombe presque dessus en s'agenouillant à côté de moi.
- Il a raison, vaut mieux que tu restes allongée. Reste calme, me sort Kern, qui lutte visiblement contre sa propre panique. Elle est tombée sur la tête, elle a peut-être des séquelles, dit-il en se tournant vers les autres, histoire de les affoler un peu plus. Après tout, elle a oublié ce qui s'est passé. Est-ce que tu me reconnais, Eva ?
Il se penche sur moi, les sourcils froncés, son regard bleu délavé planté dans le mien ; je ne l'ai jamais vu aussi sérieux, l'air très inquiet et plus idiot que jamais. Je crois volontiers qu'il regrette profondément ce qu'il a fait, mais ce ne serait pas la première fois, et ça ne l'empêchera pas de recommencer ses bêtises.
- Comment veux-tu que j'oublie une andouille pareille ? je grogne en repoussant sa tête du bras. Pousse-toi, tu m'empêches de respirer.
Il n'a pas l'air de relever la remarque - il en vu d'autres - et continue, sur le même ton :
- Combien est-ce que tu vois de doigts ?
Mais il déraille complètement…
- Douze. Aide-moi à me lever au lieu de dire des âneries.
Il me donne le bras pour m'aider, et sitôt sur mes pieds, je suis de nouveau prise d'un vertige, m'obligeant à m'agripper plus fermement à son bras. Casey arrive à ce moment, essoufflé, et reprend sa place près de moi en repoussant Kern d'un regard noir. Suivent de près Méryl et le Docteur Ivackas, qui stoppe net en me voyant sur mes jambes et me regarde avec de gros yeux.
- Qu'est-ce que tu fais debout, toi ? aboie-t-il. Rallonge-toi immédiatement ! Je croyais que tu étais blessée!
- Mais ça va mieux, je proteste faiblement alors que je sens à nouveau la serre tourner autour de moi.
- C'est ce que je vois, fulmine-t-il en me voyant chanceler. Allonge-toi, je te dis! Tout de suite!
A contrecœur, je m'exécute, sous les échanges de regards perplexes de mes camarades de classe. De toute façon, je ne sais pas combien de temps j'aurais tenu avant de m'effondrer de nouveau. Une première pour moi. Alors autant laisser tout le monde penser que c'est uniquement parce qu'il me l'a ordonné que je me rallonge. Le docteur s'accroupit à côté de moi et déballe ses affaires en hâte.
- Et maintenant, est-ce que quelqu'un peut me dire ce qui s'est passé, ici ?
Je tourne la tête vers Méryl, secouée par les sanglots et le visage inondé de larmes. Je vois que je ne m'étais pas trompée. Merci Méryl. C'est Casey, qui s'est assis à côté de moi face au médecin, ma main dans la sienne, qui répond :
- Elle a reçu une fléchette de AV-392 par erreur.
Le coupable, qui se reconnaît, se fait tout petit. Je ne vois pas Kern à ce moment, mais j'imagine très bien la tête qu'il doit faire. Casey ne le dénoncera pas, ce n'est pas son genre. Pourtant, je sais, et je vois à sa mâchoire contractée qu'il en meure d'envie tellement il est hors de lui.
L'AV-392 est une substance découverte récemment, qu'on utilise lors des entraînements. Une sorte d'anesthésiant, contenu dans des fléchettes, que nous tirons au fusil sur les monstres de la serre pour nous entraîner. Ca les endort un moment, mais ça ne les tue pas. Encore heureux. Sinon, je veux pas imaginer ce qui se serait passé pour moi.
- Quelle dose ? grogne Ivackas en préparant l'antidote.
- Euh... La D-12…
Ivackas manque de lâcher sa seringue et se redresse vivement.
- La D-12 ? C'est une blague !
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? je demande en me redressant sur mes coudes.
- Toi, rallonge-toi immédiatement et ne bouge surtout plus, m'ordonne-t-il alors, d'un air étrange.
Et pendant un instant, on croirait presque qu'il panique. La première fois que je le vois comme ça. Mais c'est qu'il commence à me faire peur, aussi !
- Ce qu'il y a ? hurle-t-il presque. Il y a que c'est la dose pour T-Rex ! Bon sang, Eva, ce que tu as reçu suffit à assommer un T-Rex pendant une heure ! Je vous avais bien prévenus d'être prudents avec ce truc !
- Je le sais, merci. Mais ça va, dis-je. Je me sens plutôt bien…
- Et c'est justement ça qui n'est pas normal !
- Dis tout de suite que tu aurais préféré que j'y reste !
- Tu n'as pas l'air de réaliser, dit-il, sérieusement. Avec ce que t'as reçu, et vu ton gabarit, tu aurais dû dormir jusqu'à la semaine prochaine, dans le meilleur des cas !
- Dans le meilleur des cas ? demande Casey en déglutissant péniblement, sa main se crispant sur la mienne. Ça aurait pu être quoi d'autre?
- Au choix : arrêt cardiaque, coma… Mais certainement pas un réveil au bout de quelques minutes. Ce truc est vraiment très puissant, vous devriez le savoir, depuis le temps. Où est-ce qu'elle a été touchée ?
- A la jambe , répond Casey. La jambe droite.
Maintenant je comprends pourquoi j'avais du mal à tenir debout. Ivackas examine ma jambe, les sourcils froncés et en ressort la fléchette, qui pour la première fois que je la vois me donne des frissons.
- Tu as de la chance que ça n'ait pas été plus près du cœur, murmure-t-il. Mais avec une telle dose, je doute que ça ait pu changer quoi que ce soit que ça ait été la jambe. Je ne comprends pas …
Il range la flèche dans un sachet puis il se tourne vers moi, l'air perplexe.
- Ce n'est pas possible que tu aies survécu à l'AV-392, pas avec cette dose. La flèche devait être défectueuse.
- C'est impossible, proteste alors Casey. C'est moi qui ai tout préparé : les flèches, les fusils, et j'ai tout vérifié trois fois, comme d'habitude.
Casey est un véritable parano en ce qui concerne le matériel utilisé. Là-dessus, on peut lui faire entièrement confiance. Si quelque chose avait cloché, s'il y avait eu même le plus petit défaut, il l'aurait remarqué. Il est tellement perfectionniste que ça en devient agaçant parfois quand on ne possède pas sa patience d'ange. Ce n'est pas pour rien qu'il a été désigné pour cette tache.
- Quelqu'un est peut-être entré pour toucher au matériel après que tu l'aies fait; et il a abîmé cette fléchette et peut-être quelques autres...
- Je te répète que non, fait Casey, en prenant un air encore plus vexé. Je reste avec le matériel jusqu'à ce qu'on commence l'entraînement, le professeur l'inspecte une dernière fois, et c'est moi qui le distribue au élèves. A chaque fois. Et on a jamais eu ce genre de problème.
- Vraiment bizarre, murmure le docteur. En tout cas, toi, tu vas aller faire un tour à l'infirmerie, dit-il en se tournant vers moi, son regard foudroyant me défiant de protester. Il va falloir que je fasse des examens.
- Mais ça va mieux ! Je vais me reposer un peu et je serai de nouveau en pleine forme !
Peine perdue. Il secoue la tête tout en remballant ses affaires.
- Je m'en fiche. On ne sait jamais, l'anesthésiant peut agir plus tard. Il vaut mieux que je t'aie sous les yeux si ça arrive.
Il n'y croit pas trop, ça se voit, mais il veut découvrir ce qui s'est passé.
Il ne manquait plus que ça. On a un examen demain, et le compte rendu de l'entraînement d'aujourd'hui à faire à Quistis. Et comme c'était moi le chef du groupe, c'est moi qui suis censée le préparer. Elle va tuer Kern en apprenant ce qui s'est passé, plus sûrement que n'importe quelle flèche de D-12. Mais il a l'habitude, je crois, et ce sera son immunisation à lui. Comme je ne peux pas marcher, Casey et le docteur me portent jusqu'à l'infirmerie et m'installent dans la chambre. Casey promet de repasser et de prévenir mes parents, ce dont je me passerais bien. Ils vont être furieux. J'imagine déjà la scène. Kern, qui nous avait accompagnés en portant mon équipement, s'avance alors.
- Est-ce que je peux faire quelque chose ? demande-t-il de l'air le plus pitoyable que je lui aie jamais vu.
Ca le rend malade de se dire que c'est de sa faute ce qui se passe; je crois qu'il a toujours été un peu amoureux de moi, allez savoir pourquoi… N'empêche, c'est toujours sur moi que retombent ses bêtises, ce qui ne l'aide pas vraiment à trouver grâce à mes yeux, il s'en rend compte… Et il sait aussi que demain il va en prendre pour son grade. J'ai presque pitié de lui.
- Oui : rester le plus loin possible d'elle, fait durement Ivackas, qui a parfaitement deviné qui était le coupable.
Pendant un moment, je me dis qu'il y va un peu fort. Mais en même temps… Il faut dire que sept fois sur dix c'est Kern qui m'envoie à l'infirmerie, quand même… L'air misérable, Kern sors de l'infirmerie, la tête basse.
Ivackas s'affaire autour de mon lit d'infirmerie, il vérifie que j'ai tout ce qu'il me faut pour la nuit.
- Si ça continue, je vais créer toute une suite pour toi, me dit-il, une fois que je suis installée. Tu es quand même une de mes plus fidèles patientes.
- Bonne idée. Je pourrais toujours transférer ma chambre ici, je gagnerais du temps.
- Sérieusement, Eva, il va falloir que tu fasses un peu plus attention. Entre les fois où tu te blesses toi-même pendant les entraînements et celles où ce sont tes coéquipiers qui le font, un jour il va t'arriver quelque chose de vraiment grave. En plus, tu monopolises mon infirmerie, finit-il sur un ton bougon.
- Désolée. La prochaine fois j'apporterai mon lit avec moi, pour laisser de la place aux autres.
- Je préfèrerais que tu n'aies pas à revenir, en fait. Allez, je te laisse pour l'instant, il faut que j'aille voir Quistis. Et tu te reposes. C'est un ordre. On commencera les analyses un peu plus tard. Au fait, il y a un autre malade juste à côté qui va lui aussi passer la nuit ici. Alors si tu entends du bruit, ne t'inquiète pas. C'est mon deuxième plus fidèle patient. Presque aussi catastrophique que toi.
Alors là, j'aimerais bien savoir qui c'est. Une autre victime de Kern ?
- Je repasse te voir demain à la première heure.
Et il s'en va.
Ivackas est un chouette type. Il est jeune pour un docteur, il a 20 ans - seulement 4 ans de plus que moi, après tout... Assez grand, cheveux et yeux noirs, la peau mate, il a un certain succès auprès de la gente féminine de la BGU ; succès dont il se garde bien de profiter en tant que membre de la communauté éducative. Il s'acharne même à réduire à néant sans la moindre pitié les espoirs des petites étudiantes qui font le pied de grue devant son infirmerie et ne se découragent pas pour autant. Il n'a pas grandit à Balamb, d'après ce que je sais, il n'est même pas de ce continent. Personne n'en sais trop rien, il n'est pas vraiment bavard et a tendance à se planquer dans son infirmerie. Mais mon père doit le savoir, lui. Après tout, c'est lui qui dirige la BGU.
Ivackas - parce qu'il veut autant que possible que nous évitions de l'appeler docteur - prend un air sévère et bougon, comme ça, mais c'est juste parce qu'il s'inquiète. Une vraie mère poule. Tout le temps à nous donner des conseils, à nous dire de faire plus attention en essayant de prendre un expression sévère et une voix autoritaire. Pire que mon père, et ce n'est pas peu dire. Mais comment espère-t-il que des soldats arrivent à ne jamais se blesser ?
Ivackas remplace le docteur Kadowaki qui travaillait ici jusqu'à l'année dernière. Son but, comme il le dit lui-même, c'est d'avoir le moins de boulot possible. Il aimerait ne pas avoir à soigner les gens. Il déteste tout ce qui est violence, combats. Mais il dit que si tout le monde est assez bête pour vouloir passer sa vie à se faire taper dessus, très bien, il est pas contrariant ; lui, il s'acharnera à soigner le monde pour lui permettre de se faire taper dessus le plus longtemps possible… Textuel.
Depuis 10 ans que je viens régulièrement ici, rien n'a changé. Même la peinture sur les murs est toujours la même. Je suis quasiment plus souvent ici que dans ma propre chambre au dortoir. Comme si c'était de ma faute. Je dois la plupart de mes visites ici à Kern. La première fois, ça a été le lendemain de son arrivée à la BGU. Une de ces nouvelles armes fonctionnant sur le même principe que le boomerang qui a légèrement dévié de sa trajectoire et est venu heurter ma jambe. Un plâtre pendant deux mois. S'il n'est pas doué pour viser, ce n'est pas la force qui lui manque. En tout cas, c'est comme ça qu'on a fait connaissance. Inutile de dire que de mon côté, je n'étais pas tellement ravie.
La porte de l'infirmerie s'ouvre doucement. Quelqu'un entre et se dirige vers mon lit. C'est Bess. Elle tique un peu en me voyant avec ces bandages sur ma tête et sur ma jambe, mais elle s'efforce de sourire. Elle a beau avoir l'habitude de me voir dans cet état, ça lui fait toujours un choc.
- Eva ! s'écrit-elle. Comment est-ce que tu te sens ?
- Ca peut aller. Un peu étourdie, c'est tout.
Elle rit et s'assied sur le lit près de moi. Bess rit tout le temps, et c'est un véritable réconfort de la voir. Elle et Casey sont mes meilleurs amis. C'est une fille studieuse, rieuse et très jolie, avec ses longs cheveux blonds bouclés et ses grands yeux verts. Nous avons le même âge et nous partageons la même chambre au dortoir depuis que nous avons huit ans.
- Désolée, lui dis-je malicieusement, le docteur vient de partir. C'est bête, tu es venue pour rien…
Bess s'est découvert il y a un an un intérêt très vif pour la médecine. Elle qui prétendait depuis toute petite qu'elle deviendrait la plus grande Seed, elle a changé d'avis : elle sera le plus grand de tous les médecins…Elle n'a jamais voulu l'admettre, mais je soupçonne le docteur Ivackas d'y être pour quelque chose, bien qu'à son insu. Et depuis un an, elle tombe souvent malade, ou se blesse régulièrement au cours des entraînements. J'ai presque cru qu'elle allait me faire concurrence dans ce domaine. Sinon, le reste du temps elle passe à l'infirmerie pour discuter avec le docteur. Uniquement de médecine , me jure-t-elle à chaque fois, et je la crois. Elle est trop timide pour lui avouer ses sentiments, elle refuse déjà de se les avouer à elle-même. Et il faut dire qu'elle est l'une des rares élèves qu'Ivackas ne fuit pas comme la peste en dehors des moments où il a à les soigner. En tout cas, il faut reconnaître que Bess s'y connaît maintenant énormément en médecine, et c'est souvent elle qui me soigne quand je n'ai pas envie de prévenir Ivackas. Et elle est très douée, elle fera un médecin formidable, j'en suis sûre.
Bess rougit.
- Arrête de dire des bêtises, tu sais bien que c'est toi que je suis venue voir. En tout cas, je constate que tu es assez en forme pour m'embêter avec ça.
Elle me tire la langue et éclate de rire.
- Et tes parents ? Ils sont au courant ?
C'est à mon tour de grimacer.
- Non, mais ça ne devrait pas tarder. Ils sont en visite à la fac de Trabia. Casey va les contacter, je crois.
- Il faut bien qu'ils le sachent. Allez, un peu de courage , me dit-elle en me tapotant la main. De toute façon, ce n'est pas comme si tu l'avais fait exprès.
Elle ne comprend pas. Mes parents cherchent la moindre excuse pour m'empêcher de devenir Seed. Et ces accidents qui m'arrivent parfois ( comme cela pourrait arriver à tout le monde – ou presque ) sont les meilleurs qu'ils puissent trouver. "Non, c'est trop dangereux, il pourrait t'arriver quelque chose... Je n'ai pas envie de passer mon temps à attendre, morte d'inquiétude, si ma fille est toujours en vie ... Tu ne sais pas ce que c'est, c'est très dur d'être Seed... C'est un engagement à vie… et patati et patata". Quand ces deux-là s'y mettent ils arriveraient presque à me trouver une bonne raison pour m'empêcher de respirer...
Ok, c'est vrai que je prends pas mal de risques ; mais par rapport à ce qu'ils ont vécu, eux, j'ai comme si je passais ma vie à faire la sieste. Ce ne sont que des entrainements, après tout. Mais je veux plus. Tellement plus. Ce que je veux, c'est... Faire quelque chose d'utile, voyager et voir le monde, aider les gens, les protéger. Je n'ai jamais compris pourquoi ils agissaient comme ça, à toujours essayer de me freiner. Papa a été un grand Seed, et il dirige maintenant la BGU. Il est célèbre dans le monde entier, un véritable héros ; tout comme Quistis, Zell, Selphie, et certains des autres professeurs que nous avons ici. Pourquoi vouloir m'empêcher de faire mes preuves ? Qu'est-ce qu'on peut bien attendre de la fille du plus grand Seed que le monde ait connu, si ce n'est de s'en montrer un minimum digne, d'être au moins aussi exceptionnel ? Alors oui, je ferai tout pour devenir Seed. Tout.
Bess reste discuter avec moi jusqu'à l'heure du couvre-feu, puis s'éclipse pour retourner au dortoir. En effet il fait déjà nuit, mais je n'arrive pas à dormir. Il y a toujours cette douleur à l'arrière de la tête qui m'empêche de fermer l'œil.
Un bruit sans de la pièce d'à côté attire mon attention. Ce doit être cet autre malade dont m'a parlé Ivackas. J'entends des bruits de draps froissés et un grincement de matelas. La personne là-bas doit se retourner dans son lit de douleur. Il faudrait peut-être que j'aille voir ? Mmmh... C'est peut-être pas une très bonne idée. Je ne suis pas infirmière, et il y a plus de probabilités que j'achève le malade plutôt que je ne parvienne à l'aider. L'autre à côté se met à tousser violemment. Tant pis, je vais quand même voir, ne serait-ce qu'au cas où il faudrait appeler Ivackas. Je me lève doucement et vais dans la chambre d'à côté en boitillant. Je frappe doucement à la porte, puis passe ma tête par l'entrebâillement.
- Est-ce que tout va bien ? je demande en essayant de repérer la personne sur le lit.
J'entends un bruit de tâtonnement, et la lumière s'allume.
Oh non.
Pas lui…
- Tiens, tiens… fait le garçon allongé sur le lit avec de multiples bandages et visiblement pas très en forme - ce qui ne l'empêche pas d'arborer ce sourire en coin que je déteste tant. Eva Leonhart…
Ça y est, mon mal de tête me reprend. La poignée de la porte m'échappe et la porte s'ouvre en grand.
- Tiens, tiens… Etan Almasy ! Je m'exclame sur le même ton, avec mon sourire le plus faux. La dernière personne au monde que j'ai bien envie de voir !
- Moi aussi, je suis ravi de te revoir ; désolé si je ne me lève pas pour t'accueillir, mais si j'en étais capable, je n'aurais rien à faire ici. Cela dit, c’ est gentil d'être passée me voir, ça faisait longtemps.
- Pas assez. Alors, dis-je en contemplant les bandages qu'il a sur la tête. Est-ce qu'on t'a enfin greffé un cerveau ?
- Non, j'imagine qu'ils ont estimé que celui-là était encore en état.
- Ah bon ? Parce que tu en avais déjà un ?
Il a un accès de toux qui lui coupe un moment la parole, mais il se reprend vite.
- J'espère que je ne t'ai pas trop manqué. Ca fait longtemps que je suis parti, je sais. Allez, je vois bien que tu es curieuse ; vas-y, demande-moi ce que tu veux : combien de villes j'ai visité… Pourquoi est-ce que je suis dans cet état…
- Je m'en moque complètement.
Il attrape plusieurs boites sur la table de nuit, les dispose sur le lit et en retire des cachets. Je le regarde faire, les bras croisés, en espérant qu'il s'étouffe avec.
- Pourquoi je suis parti… Combien de personnes est-ce que j'ai battues… Pourquoi… continue-t-il, comme s'il ne m'avait pas entendue.
- Pourquoi est-ce que tu n'es pas resté où tu étais ? je demande, agacée.
- Eh bien, je …
- Laisse tomber, je n'en ai rien à faire.
- Tu ne t'es vraiment pas améliorée question politesse. Tu pourrais au moins me demander si j'ai besoin de quelque chose.
- Est-ce que tu veux que je t'achève ? Je propose alors avec une sincère bonne foi.
C'est bien la seule chose que j'accepterai de faire pour lui. Je ressors en claquant la porte de toutes mes forces et je retourne dans mon lit en pestant. Puisse-t-il mourir de ses blessures dans la nuit ! Mais c'est connu, ce sont toujours les parasites qui survivent le mieux. Le type qui lui a fait ça mérite une médaille. Si je ne risquais pas des ennuis, ce serait avec joie que j'aurais fait la même chose. Mais notre dernière bagarre m'a laissé un cuisant souvenir : une gifle de mon père, la première que j'aie jamais reçue de lui, et j'ai eu l'impression d'être clouée sur place. Mais ce n'était encore rien à côté du regard glacial qu'il m'a lancé à ce moment-là.
Parfait, je suis sûre de ne plus réussir à m'endormir, maintenant. A travers la cloison, je l'entends tousser bruyamment, à plusieurs reprises. Je parie qu'il le fait exprès pour m'énerver. Ivackas va m'entendre, demain. Il le sait bien que je ne peux pas supporter Etan. Tout le monde le sait. C'est Etan Almasy, bon sang ! Le fils de ce traître de Seifer, qui a tellement fait souffrir le monde entier ! Tout le monde déteste Etan, d'ailleurs. Je ne connais personne à la BGU qui puisse supporter ce garçon. Mais s'il y a une chose qui a estomaqué tout le monde il y a quelques années - j'étais toute petite à l'époque mais on m'en a parlé, évidemment - ça a été que mon père l'accepte à la BGU. Ils ont tous cru qu'il avait perdu la tête, et franchement, je me demande aussi ce qui a bien pu lui prendre. En tout cas, tout le monde évite Etan comme la peste ici, et pour autant que je me souvienne, on s'est toujours détestés, lui et moi. Mais ça devait être écrit. C'était comme ça avant même que nous ne naissions. Son père et le mien étaient ennemis. Ce sera la même chose pour nous. Logique. À quoi d'autre s'attendre?
Mais s'il y a une chose que je comprends encore moins, c'est que Papa semble l'apprécier. Comment est-ce que c'est possible ? Il lui confie même des missions dans le monde entier alors qu'il n'est même pas encore Seed - puisqu'il a le même age que moi - et ils discutent souvent tous les deux alors qu'en tant que directeur, il ne peut pas réellement se permettre de passer du temps avec n'importe quel élève. Ce qu'il ne fait d'ailleurs avec aucun autre. Incompréhensible.
Bien sûr que ça m'a fait mal. C'est moi qui devrais avoir droit à tout ça. Papa sait que ce que je veux le plus au monde, c'est être Seed. Moi, ce que je crois, c'est qu'il aurait préféré avoir un garçon. Le truc classique. Mais pas de bol, il n'a que deux filles, Léna et moi. Alors c'est Etan qu'il va aider. Mais est-ce qu'il se rend compte de ce qu'il fait ? Aider le fils de Seifer ! Et ils se ressemblent tellement. Mêmes cheveux blonds, mêmes yeux gris. Un peu plus élancé peut-être. Mais il ne manquerait plus que la panoplie veste grise-cicatrice, et on s'y croirait. Je sais que parfois, ma mère a un mouvement de recul quand elle l'aperçoit quand elle ne s'y attend pas, même si elle se reprend très vite et sourit. Mais on voit bien pendant ces quelques centièmes de secondes des images défiler dans ses yeux, comme des souvenirs qu'elle cache…
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Commentaire de l'auteur
Concernant la correction, il y a juste quelques légères modifications, des reformulations de phrases, quelques détails en plus, rien de déterminant.
J'ai rajouté une illustration que j'ai faite il y a quelque temps. On voit Eva, bien entendu ^^. Et ce que je considère comme la musique d'ambience du chapitre on va dire :p Voila voila !